Comme vous avez déjà pu le voir, dans la famille, on se serre les coudes et on s'entraide. Pour changer les barrettes mémoire, checker les devoirs de fac, corriger les billets de blog ou vérifier le politiquement correct des emails envoyés aux collègues...
Alors quand j'ai fait part de mes états d'âmes à mon étudiante semi-distanciée, elle m'a écouté, et elle m'a fait un schéma pour résumer les épisodes précédents :
Il n'y a pas un facteur unique, mais les deux ensemble, ça ne passe plus :
- Le mépris de l’institution pour nos missions ou pour nos conditions de travail ne peut pas suffire à tout expliquer. On a composé avec, des tas d'années, même si ça ne faisait pas plaisir.
- Le numérique, on a géré un temps, jusqu'à ce que la complexité nous dépasse, mais bien outillés, ou aurait pu résister.
Passons donc maintenant à la résolution de l'énigme : le gâteau allégé et la tisane qui va bien.
Pour sortir de la boucle de rumination, et aller de l'avant avec légèreté, le sourire et la pêche.
Une solution à 12 000 postes ? (+ deux-trois bricoles)
Allez, inspirez un bon coup, décrispez votre plexus, on va rêver un peu.
Imaginez :
- deux profdoc par collège, avec un partage des niveaux ou des thèmes de travail (et imaginez qu'ils s'entendent bien et partagent les mêmes principes avec les élèves, sinon, ça va gâcher votre plaisir...)
- un programme à l'année, une progression sur 4 ans
- une heure semaine ou
quinzaine avec tous les élèves et sur tous les niveaux
- des liens
avec les disciplines mais pas de dépendance ! Sinon, rien
n'est fait, on voit ce que ça donne, l''éducation à", les programmes EMI
et autres priorités nationales lecture.
Pas une autre
discipline, pas deux profils de postes, le bibdoc et le prof d'infos. Ma vision des choses, c'est que tous les aspects de nos missions sont complémentaires : les cours
ET l'accueil sur heure d'étude, les clubs ET les recherches doc.
Justement,
c'est ce qui fait la richesse de ce "nouveau métier" de 30 ans d'âge,
richesse dont on devrait plutôt faire profiter les autres disciplines,
et surtout pas déposséder la nôtre.
Bon, je ne cracherai pas non plus sur un poste d'aide-doc ou
contrat aidé pour couvrir les livres et faire les photocopies... Mais si on est déjà deux, mettre dans le même espace une 3e personne, vraiment ? Il va falloir croiser encore plus fort les doigts pour que leur personnalité et leur conception
du travail à tous les trois soit compatible, et l'harmonie durable dans le temps. A ce risque statistique, j'ai bien peur de ne lui préférer la solitude apaisée d'un CDI mal rangé...
Quoi qu'il en soit, partager la charge de travail ne suffit pas. Si on devait aussi se partager le même petit espace, on se marcherait dessus, et on n'exploiterait pas toute la richesse promise.
Il faut aussi une adaptation des espaces
:
- un espace CDI "classique" pour l'accueil des élèves en autonomie
- une salle de cours avec vidéoprojecteur et 12 ordi. Chaque séance
pourrait mixer le travail en salle ou sur ordi et l'accès au CDI, laissé
ouvert aux élèves de l'étude accueillis par l'autre collègue.
Je suis chanceuse, j'ai déjà les locaux, défendus il y a plus de 20 ans par un chef d'établissement visionnaire (et mari d'une profdoc...), orchestrés par un architecte formidable et à l'écoute (qui voulait créer un CDI ouvert vers l'extérieur), et rendus "ouvert" par la présence d'un vitrail extraordinaire (fait par un artiste dont la femme était profdoc... Franchement, quand on me demande pourquoi je ne mute pas, je ris !).
Il
est évident que peu de CDI offrent cette souplesse, et que rien n'a été
conçu pour prévoir ce type de fonctionnement. Les institutions ne sont
bonnes qu'à créer des pseudos CCC, en rajoutant une couche de plus au
mille-feuilles : l'accueil des études "parce que c'est chouette, un CDI,
pour bosser". Évidemment sans personnel en plus. Ou alors avec les
AED à gérer en plus, c'est ça, j'ai bon ? Ils viendraient mettre leur
grain de sel, tourner autour des tables ?
Tiens, d'ailleurs, pourquoi c'est "chouette", un CDI ?
Peut-être parce que les CDI ont évolué ?
Alors foutez la paix aux profdoc !
Imaginez plutôt des études différentes, gérées par des AED (mieux payés et formés) et des CPE innovants (et en nombre suffisant pour qu'ils ne soient pas asphyxiés par les missions "négatives").
Et laissez-nous gérer nos Centres de doc et d'enseignement (voir mes précédents billets dans la rubrique CCC et vie scolaire). On prendra les élèves de l'étude au CDI quand ils auront quelque chose à y faire.
Avec un 2e poste de profdoc, je pourrais enfin appliquer la circulaire de 2014
(1h pour 1h) que l’institution nous a offerte tel un cadeau empoisonné.
Si je l'applique, je dois faire encore plus de choix de sacrifice en
fermant le CDI, et je me heurte à ma direction qui m'interdira les
séances avec les classes pour éviter que je ne ferme. Merci, vraiment !
Ce rêve d'efficacité professionnel et de bien-être mental coûte 12 000 personnes (il y a 12 000 profdoc en France).
Et quelques architectes inspirés et formés aux usages pédagogiques.
Je partagerai bien, pas vous ? |
Et sinon, on fait quoi ?
Je ne voudrais pas terminer sur un constat désespérant, puisqu'on se doute tous que ce rêve ne sera jamais celui de l’institution. "On n'est pas là pour changer le monde" a dit dernièrement un ministre à un député, au parlement. Ah bon, je croyais que ça servait à ça, la politique, mais tant pis.
Alors oui, il faut imaginer le pire, que jamais personne ne nous donnera les moyens de travailler, et qu'il faudra continuer à choisir et apprendre à dire non, pour ne pas vomir.On commence par quelques bonnes résolutions numériques pour diminuer le stress informatif
QUI se forme sans que personne ne lui ait rien demandé, même en sachant que ses nouvelles connaissances seront périmées dans 6 mois sans qu'il s'en soit servi une seule fois, et qui en prime se prend des vents quand il tente d'en parler autour de lui ?
QUI lit durant la même quinzaine des articles sur la taxonomie de Bloom, la gestion mentale, la pédagogie
explicite, la lecture rapide ou les conséquences du numérique sur la
lecture, 12 romans 4 BD et 3 mangas, fabrique une boite pour l'estime de
soi (merci la team Twitter !), regarde 3 Genially sur une visite virtuelle de collège pour des
CM2 (tiens, une idée !), les outils numériques pour
l’enseignement (je ne les connais pas tous, fouillons un peu), les méthodes actives et la collaboration, et pendant que le riz cuit regarde les nouvelles
vidéos sorties sur le cyberharcèlement ?
C'est pas compliqué, Google me demande de temps en temps si je ne suis pas un robot !
Véridique !! |
Alors RÉSOLUTION 1 : alléger ma veille Twitter
J'ai commencé par me désabonner de quelques comptes qui twittent des infos anxiogènes ou nombreuses. J'ai retiré de mon compte 27 sources d'infos générales et prolixes. Cela m'a fait beaucoup de bien, en me mettant à l'abri des infos anxiogènes du moment, et en apaisant ma veille. En effet, j'étais devenue accro, et je checkais mon compte 100 fois par jour pour être sûre de ne rien rater des messages des "vrais" gens de ma TL. Je vais de temps à autre voir la couleur du temps sur mon autre compte, et je referme vite.
Auj, je crée un 2e compte Twitter pour y basculer tous mes abts "actu" (tous sauf collègues EN).
— Clairementdoc (@clairementdoc) April 3, 2021
Je pourrai ainsi le laisser fermer pls jours pour un "coupure actu", sans risquer de rater vos messages et infos à vous.
Gain de temps + moins de stress et de colère👌
Je vais aussi sacrifier quelques comptes qui twittent beaucoup d'EMI compliquée, sur des thématiques qui ne me serviront jamais au collège. Je n'arrive plus à tout manger, et en prime, cela me donne des complexes ! Jamais je n'arriverai à maîtriser tous ces sujets. Ils ont l'air importants, ce n'est pas la question. Mais je ne les évoquerai absolument jamais avec des élèves. Alors, faisons l'autruche, au moins le temps de me refaire une santé.
Par contre, cela peut être une bonne idée de prendre quelques abonnements complémentaires sur la lecture, la vie quotidienne au CDI, pour étendre un peu plus mon "réseau" (qui fait tant de bien !) et élargir mes sources d'idées.
Et de 1 ! |
RÉSOLUTION 2 : Arrêter de me former toute seule sur 25 sujets en même temps (12, ce sera déjà bien). Et arrêter de me culpabiliser parce que je ne maîtrise pas tout.
Je vais attendre que l'institution me demande de maîtriser les sujets qui me bottent moins, qui m'amusent moins. Pourquoi pas attendre aussi qu'elle me forme. Et accessoirement qu'elle me donne les
moyens d'appliquer ces formations...
J'ai de plus en plus de mal à aller en
formation écouter des préconisations, quand les sujets qu'on veut me faire absorber devraient d'abord
être absorbés par les autres. J'en ai assez de me faire former pour
porter la bonne parole. C’est trop de frustrations.
Et de 2 ! |
Au passage, je devrais en profiter pour fermer ces 247 onglets avec tout ce que j'ai mis de côté à lire, sans doute dans une vie future...
Vous comprenez mieux la référence aux barrettes mémoire ?? |
Continuons : puisqu'on ne me laisse pas le choix, choisissons !!
Tadaam, sous vos applaudissements, voici ma plus grande résolution, le cadeau que j'ai décidé de me faire pour mon jubilé : je vais choisir !!
(Ce sera aussi un cadeau pour ma maman, qui frémit à chaque billet. Avoir des enfants, ce n'est pas en être débarrassés quand ils partent de la maison...)
Et tant qu'à faire, je vais choisir ce qui me plaît, ou ce qui sera utile pour faire fonctionner le CDI.
Le reste, exit !
Allez, à dégager ! |
En parallèle, je vais annoncer et expliquer ces choix et ces arbitrages.
Pour me débarrasser du poids et de la culpabilité.
L'annoncer à mes chefs, mes collègues (et mes inspecteurs si j'en ai le courage) : "Voici
ce que je vais faire. C'est mon arbitrage, compte tenu de ce que l'institution me permet de faire. Et voici ce qu'il faudrait faire, mais que je ne pourrai pas faire."
Chaque année, je noterai tout ça dans mon bilan. Il faut que je trouve un moyen de l'intégrer, je ne sais pas encore vraiment comment, si je ne veux pas passer pour moralisatrice ou négative.
De toute façon, même à imaginer que le monde se réveille et qu'on me donne
l'occasion de former mes élèves, je ne pourrai pas assumer tout, toute
seule. J'aurais l'air fin, si on me disait : "Chère Mme, vous avez raison ! A partir de septembre, faites tout ce que vous avez dit que vous aviez à faire !".
Je serais capable de râler que je ne m'en sors pas !
Franchement, je ne sais pas ce que j'attends depuis tant d'années ! Je crée moi-même les conditions de ma frustration.
Je suis vraiment maso, parce que tout le monde a l'air de trouver que ce que je fais est suffisant. Même en ce moment, avec pourtant un protocole qui a quasiment fermé et gommé l'action du CDI. Personne pour regretter que ceci n’existe plus, ou que cela ne se fasse pas. Personne pour regretter ce qui fait ma fierté d'habitude. Un peu dur, hein ! Mais qui remet bien les choses en place.
Bref, n'attendons pas qu'on nous impose des choix.
Ils ne feraient d'ailleurs peut-être ni notre bonheur, ni celui de nos élèves.
Je vais donc me créer toute seule comme une grande un petit programme allégé (anticiper pour ne pas risquer le pire, comme je l'ai déjà fait pour le CCC).
Concrètement, pour m'aider à faire ces choix, je vais sans doute faire un tableau (un de plus, mais celui-ci ne va pas aboutir à un rajout, mais à des suppressions).
Il aura 4 colonnes :
- "à
garder" (parce que c'est utile à mon bonheur, à celui des élèves, au fonctionnement du CDI, et parce que personne ne s'en chargera jamais à ma place)
- "à faire ou refaire" (celles que j'ai abandonnées et qui me manquent, ou celles que je gardais dans un coin de la tête en me disant que ce serait bien, quand-même !)
- "à arrêter"
- et une colonne qui va rester vide : "à ne surtout pas commencer" (toutes les nouvelles couches de mille-feuilles qu'on va encore découvrir...)
Je vais alléger, mais aussi ré-équilibrer. Moins de sucre, plus de fibres !
J'ai délaissé l’incitation à la lecture loisir, la remédiation technique de lecture. Il faut que je m'y remette, et ce n'est pas les listes de "choses à faire" qui manquent !!
Ce n'est donc pas un scoop, ce n'est pas la lecture que je vais sacrifier.
Ni d'ailleurs les
activités péri-scolaires qui nous font tant de bien, ni les activités
EMI "web pas caca" qui donnent de la maîtrise aux élèves sur leur vie.
Surtout
si le ministère dépêche des agents doubles pour des interventions
éclairs "EMI=gare aux fakes", comme cela semble être l'option en ce
moment. Ce n'est pas du tout comme si les profs doc agitaient les bras
comme des désespérés... Bref !
C'est peut-être bien les activités qui servent pour les cours qui vont sauter.
Ils
ne savent pas faire un exposé ? Ah bon, vous ne leur avez pas appris ?
Ils ne savent pas créer un diaporama ? Pas très grave, si ? Ils ne
savent pas imprimer une image pour un exposé ? Et bien ils dessineront.
Les éco-délégués ? Parlez-en au
CVC.
Parce qu'il ne faut pas pousser mémé dans les orties !
Hum, c'est bon, ça, les orties. C'est détoxifiant ! |
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