Dernier épisode avec ma question fétiche : "Comment créer des lecteurs durables ?"
On l'a vu ici, ou là, un ado qui lit, c'est quelqu'un qui sait qu'il est lecteur, qui sait que cela lui apporte du plaisir, qui sait bien lire, qui a créé des habitudes et qui a donc des besoins liés à la lecture (cf billet précédent, et on peut agir pour cet objectif).
Mais cela ne suffit pas. Il faut qu'il sache aussi où aller chercher ses lectures une fois qu'on lui a lâché la main !
J'ai déjà évoqué des tonnes d'actions que l'on peut faire au CDI, qui permettent de mettre en place ces habiletés durables :
- des occasions multiples de faire connaissance avec la lecture et d'y prendre plaisir
- la création d'une identité de lecteur par la participation à une communauté
- l'existence d'un outil de communication qu'on peut continuer à consulter, voire alimenter
- la connaissance des sites qui donnent des idées.
Ce qu'on peut faire en plus, c'est l'aider à créer des liens extérieurs au CDI :
- Lui faire créer des liens, pas seulement entre lui et les librairies et les bibliothèques (avec des visites), mais surtout AVEC les libraires et bibliothécaires (avec des rencontres)
- Passer le relais aux profdoc de lycée : en faisant par exemple un club lecture sur place au lycée, pour que tout le monde s'identifie.
Idée 4 : Passer le relais aux collègues de lycée.
Je pourrais par exemple rajouter une sortie proposée aux 3e, dans le CDI de leur futur lycée, pour faire connaissance avec les profdoc. Une rencontre pour les 3e volontaires, à laquelle les anciens du collège seraient conviés ?
Et si on créé un journal littéraire au collège, une page pourrait être réservée aux anciens élèves.
Idée 5 : Passer le relais aux libraires et bibliothécaires
Tant que j'étais à la librairie, samedi dernier, j'ai prévu avec le libraire BD une rencontre au collège un midi (ça c'est facile), puis une visite à la librairie pour aller acheter des livres. Il faut que les élèves se sentent familiers des gens qui travaillent, pas uniquement des lieux, pour oser demander des conseils.
Du côté de la bibliothèque, les projets mis en place suffisent à bien passer le relais. C'est un point sur lequel on a pas trop mal réussi : sortie à la bibliothèque du quartier pour toutes les 6e, puis l'année suivante à la médiathèque pour les 5e volontaires, participation à tous les projets lecture mis en place au CDI.
Et ça marche, tout ça ? Entrée en piste des statistiques !
Allez, je pourrais m’arrêter là, continuer à fanfaronner, dire que mes élèves lisent grâce à toutes les belles choses qu'on met en place années après années depuis 20 ans...
J'aurai pu.
Mais je viens de faire des statistiques. Je me doutais bien de quelque chose, mais quand-même...
...sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage...
Depuis quelques semaines, je n'ai plus qu'une dizaine d'élèves le matin aux récrés, là où le flux était plus proche de 50 élèves jusqu'à l'an dernier et même au 1er trimestre.
Il y a moins de monde qui vient au CDI ? Mais non !
2700 passages déjà sur heures d'étude (78 % des élèves), contre 2800 l'an dernier deux mois plus tard (73 %). Forcément, avec deux heures de cours par semaine au lieu de 14 ou 15, ça laisse le champ libre à l'étude.
Donc, il n'y a jamais eu autant d'élèves à venir, et à revenir : 60 % sont déjà venus plus d'une fois (contre 56 l'an dernier). C'est le 1er effet réforme !
Mais ils viennent faire quoi ?
Travailler, pardi. Aux tables à partir de la 4e-3e (compromis pour ne pas les perdre) et aux ordi, beaucoup, à partir de la 6e. De plus en plus de projets exigent qu'ils travaillent sur ordi, moi y compris avec l'EMC ou les projets français nuages de mots.
Lire ? Un peu. Des BD et des mangas, surtout.
Ils empruntent ? Hum hum... 955 prêts cette année à ce jour, contre 2000 l'année dernière. Mais si !
Un peu de BD et mangas (400 contre 800 l'an dernier), de plus en plus rarement des romans (383 contre 1015 l'an dernier, et je ne compte pas les emprunts de séries. Si on voulait se faire mal, on pourrait même enlever les 125 romans prêtés dans le cadre d'un emprunt obligatoire en français, autant que l'an dernier).
Est-ce le 2e effet réforme ? Aurais-je eu raison de jouer les Cassandre l'an dernier, quand je prédisais que si j’arrêtais de voir les élèves régulièrement, ils arrêteraient de lire ? Un ado, si on arrête de lui mettre le nez dans les livres, il s'arrête de lire !
Je n'ai plus que quelques élèves en club le midi, alors que c'était une des activités phare il y a quelques années. Pour me rassurer, je me dis que je ne suis pas la seule au collège à regretter le manque d'investissement des élèves, et de nombreux clubs ne font plus recette. Est-ce l'effet génération d’aujourd’hui, qui ne veut aucune contrainte, ou ai-je ma part de responsabilité ? Mes idées de ces derniers jours suffiront-elles ?
Je me pose des tas de questions sur mon influence sur les élèves. Est-ce que je sers seulement à leur prêter un ordi pour imprimer en cata une image pour l'espagnol ?
J'ai quand-même envie de recréer des liens de lecteurs, et continuer à croiser des anciens élèves à la bibliothèque et à la librairie !
Donc plus conclure : pour créer des lecteurs durables, il faudrait déjà arriver à les faire lire !!!!
Vous comprendrez que je vais commencer par m'atteler à les faire lire sur place (les élèves de l'étude ? Mais comment les contraindre ? En étant sur leur dos tout le temps ? Ils vont détester, et moi aussi. Je vais relire la liste des "idées pour les faire lire", et vérifier point par point que je le fais), puis à les faire emprunter, avant de me replonger dans les objectifs qui étaient les miens depuis quelques années : les faire lire après.
J'ai rédigé un résumé des trois billets, et je l'ai diffusé à mon administration, avec le bilan du CDI dans les parcours, et le bilan EMI.
Et puis, à force de réfléchir, une idée folle m'est passée par la tête cette semaine.
Et si...