Lundi, je ne me voyais pas faire la petite activité Libre office dessin que j’avais prévue et peaufinée après mon 1er groupe de 5e vendredi matin.
Je ne me voyais pas non plus répondre aux questions et inquiétudes des élèves. Je le leur ai dit.
J'ai dit qu'on allait avancer de deux mois les séances sur les réseaux sociaux et les hoax. Qu'on allait travailler sur les rumeurs qui ont circulé tout le week-end.
Je leur ai laissé le choix de la faire tout de suite, ou de laisser passer 15 jours.
Ils ont tous souhaité le faire tout de suite, "c'est aujourd'hui qu'il faut savoir ce qui est vrai ou pas".
Une élève, en larmes, inquiète pour ses parents partis travailler le matin, a d'abord choisi de quitter la salle au moment où on irait sur les ordinateurs. Elle est finalement restée avec nous, on a beaucoup parlé, pas forcement devant tout le monde, je lui ai dit "bienvenue au club, moi-aussi j'ai peur, j'ai peur tous les jours depuis la naissance de ma 1ère fille, mais ça ne change rien d'avoir peur. Il faut continuer à profiter au maximum de la vie, sans trop penser à toutes ses peurs, et même si j'en ai une de plus depuis quelques mois, je continue à regarder à gauche et à droite en traversant, et à manger équilibré, parce que le danger il est finalement davantage là que dans un attentat." On a dit qu'il fallait rester gai, ses copines ont plaisanté en disant qu'il n'y avait pas de danger avec elle, qu'elle rigolait tout le temps, on a parlé de La mélodie du bonheur, elle a séché ses larmes, et moi j'ai sorti mon mouchoir.
Et puis on a travaillé aussi. En trois séances, j'ai peaufiné mon déroulement, mes questions. J'ai utilisé ma technique bleu/noir/vert (
lien vers document pdf).
Rajout jeudi soir : j'ai encore modifié mes consignes, pour les obliger à LIRE l'article, bon sang de bois.
Le résultat est simple, mais efficace. En plus, je peux évaluer leur attention (bonne), leur suivi des consignes (mauvais, ils ne lisent que sous la contrainte et sous mon regard, donc personne en même temps !), leur capacité à lire un article (déplorable, et pourtant, les articles sont de plus en plus difficiles à lire en ce moment, avec leurs dizaines de captures d'écran, leurs publicités insérées), leur superficialité (inquiétante, cette façon de ne regarder que les images, de vouloir cliquer sur les vidéos, d'actionner l’ascenseur comme si l’objectif était d’arriver en bas de la page avant le voisin).
Je ne sais pas si ils seront un jour capables de lire de manière continue et réfléchie un texte affiché sur un écran. J'ai l'impression que la seule lecture attentive qu'ils font, c'est dans le cadre scolaire d'un travail à faire tout seul à une table. Même en travail de groupe à une table, ils ne lisent pas. Comment accéder à la réflexion dans ces conditions ?
Bref, cela n'enlève rien au fait qu'ils ont compris deux-trois choses je crois avec cette activité. Enfin, quelques-uns... Parce qu'au bout de 45 minutes, un des élèves s'est retourné en s'exclamant : "Madame, regardez, c’est incroyable. Vous avez vu ce qui est arrivé ?!" Et pour changer de sujet, quand il a vu que j'étais fâchée qu'il n'ait toujours pas compris qu'il était sur une page avec QUE des rumeurs, il m'a demandé de but en blanc, et sans rapport évident (?) si je connaissais tel jeu de guerre interdit aux -18 ans, le regard gourmand. Au vu de ma réaction, il m'a promis de ne plus jouer qu'à la FIFA. Je vais faire semblant de le croire...
Vous l'aurez compris, je ne suis pas hyper optimiste et souriante. Ces séances indispensables ne me rassurent pas totalement sur la capacité de nos élèves à comprendre le monde qui les entoure. Même s'ils sont adorables sur le moment, on a parfois l'impression troublante qu'il ne font que passer, tiens bonjour madame, c'était super bien comme séance, mais c'était quoi, déjà ? Alors si ces sujets sont relayés à l'occasion de quelques EPI, ce ne sera sans doute pas plus mal. Il n'en reste pas moins certain que le seul moyen de faire ce travail de base avec TOUS les élèves, ce sera de continuer à les prendre sur des heures en plus, de notre propre chef, et pas de faire au coup par coup, selon les collègues et les années. Et selon les attentats.