Dans cette situation, je crois qu'il faut d’abord se demander d'abord pourquoi ils ne viennent pas, ou plus.
Une fois la situation analysée, on peut penser aux activités qu'ils pourraient venir y faire, ou qu'on aimerait les voir y faire (sans perdre de vue qu'on est professeur documentaliste, hein ?) et enfin aux lectures qu'on aimerait les voir accepter.
Et bien au boulot ! L'occasion de remettre le nez dans quelques vieux billets.
1- Mais pourquoi ils ne viennent pas ?
Il y a tant de raisons possibles !
- "Le CDI ? C'est où ?". Ah ! Il est possible que vous soyez caché au 3e étage ou dans un bâtiment éloigné, du coup pas accessible aux récré ou le midi, ou pas visible.
En attendant un projet de restructuration (dont il faudra s’emparer, si on vous écoute...) on peut trouver des solutions quand-même. Soyez inventifs, et à l'écoute des difficultés des surveillants, qui ont d'autres chats à fouetter le midi ou aux récrés que de pister des élèves dans les couloirs, il faut aussi les comprendre. Chaque situation peut avoir ses solutions, plus ou moins contraignantes pour nous : aller les chercher en bas à certaines heures (et respecter ces heures, sinon aucune habitude ne se prend), donner de la visibilité avec une vitrine, un mini-CDI en étude... Le mieux est de demander leur avis aux intéressés, et de voir ensuite si c'est faisable.
- "Ah, je savais pas que c'était ouvert / quand c'était ouvert / qu'on pouvait y aller !"
Facile ! Communiquez ! Affichez le planning, mettez des panneaux, des affiches, faites visiter le CDI aux classes, dites (et redites, l'info de rentrée est vite oubliée) que le CDI est ouvert à la récré... Tous les CDI ont-ils leur planning et les règles de visite affichés à un endroit visible ? Parce que si le CDI est au 3e, ou que les élèves n'ont pas le droit d'aller seuls dans les couloirs, mettre le planning uniquement sur la porte, c'est pas très utile !
- "Ah, je ne savais pas qu'on pouvait emprunter, faire... "
Visite guidée pour toutes les classes + séances pédagogiques régulières. Rien d'autre, résultat garanti.
- "Ah, je ne savais pas que vous aviez des livres comme ça !"
De toute façon, dans l'esprit d'un ado, tant qu'on n'y a pas mis les pieds, un CDI c'est forcément vieux et moche. D'ailleurs, c'est parfois vrai, soyons lucide.
Recettes identiques : visites + affichage des nouveautés sous le préau ou sur pronotes + présentation de quelques livres au début des séances (cf billet précédent, ma meilleure recette depuis longtemps !).
- Ils peuvent aussi penser sans le dire : "le CDI, c'est pas pour moi".
On se fait des images mentales des lieux de culture, des lieux de culture, et on peut ne pas s'y sentir légitime. On pense que tout est difficile, ou qu'on n'y aura pas sa place. Donc il faut faire changer le regard des élèves sur eux-mêmes, et faire en sorte qu'effectivement, tous puissent trouver leur compte au CDI en terme de lecture ou d'occupations.
- "Ouais, ouais, le CDI, je sais, je suis allé voir. Mais il y a rien qui m'intéresse"
C'est peut-être faux (mettez des livres en présentation, des bulles de couleur, sortez des étagères, mettez-leur dans les mains), mais attention, c'est peut-être vrai... Alors au boulot, à vos commandes !!! Et on achète quoi ? Et bien lisez des livres à la bibli, commandez ce qui vous plaît, mais surtout ce qui va leur plaire. Donc parlez avec eux, connaissez-les.
Et puis, on vient aussi au CDI pour travailler, pas uniquement parce que ça fait plaisir ! On peut permettre de faire des exposés en groupe, offrir une salle d'oral, le travail sur ordinateur, on peut leur offrir une palette de modalités de travail scolaire, pour qu'ils prennent plaisir à travailler, et à travailler en équipe. J'ai fait le choix pour ma part d’autoriser le travail aux tables à partir de la 4e, pour limiter leur désaffection en grandissant.
- "C’est pas drôle, y'a pas Où est Charlie. Et puis Naruto, vous voulez pas acheter la suite !".
Bon, on n'est pas obligés non plus de leur faire plaisir à tout prix. Fixez vos limites. Moi, c'est la violence : pas de zombies, pas de morts vivants, pas de baston pour rien. Et Charlie, j'en ai marre. S'ils veulent des trucs de foyer, ils vont au foyer. Et je fais tout pour qu'il fonctionne, y compris en m'y impliquant. Par contre, ayez des mangas, des BD faciles, des Max et Lili, des TomTom et Nana, laissez-les respirer, avec des trucs de leur âge, qui n'ont pas d'âge.
- "Le CDI, c'est pas drôle, on a rien le droit de faire, on peut pas dormir, faire des jeux vidéos, téléphoner, ou rien faire. On peut même pas causer"
Et bien oui, et c'est tant mieux. Ne changez pas pour eux !! D'autres vous en seront reconnaissants.
Et peut-être même ceux-là, si vous les accueillez avec le sourire et en les embauchant pour vous aider, si vous leur lisez des histoires, si vous les faites inventer des histoires (cf story cubes), s'ils peuvent travailler sur ordi et que vous les aidez, si vous les faites jouer (attention, pas des jeux à tout prix et pas n'importe quels jeux, cf mon article dans InterCDI et sur ce blog).
C'est souvent une posture de fuite devant la lecture et les contraintes (fantasmée ou vraie) du lieu.
- "J'ai pas le temps de venir"
Si on se morfond au fond d'un CDI vide, alors que toutes les pistes précédentes ont été explorées, inutile de jeter la pierre aux élèves. Si les élèves n'ont pas d'heures d'étude, si les rares absences de profs sont immédiatement récupérées par un collègue en dispositif "heures remplacées", si les absences de profs donnent lieu à un jeu de pousse-pousse pour libérer les élèves pour ne pas encombrer les études : comment lutter ? Vous ne voyez jamais d'externes ? Forcément, les heures d'étude sont à 8h à 15h30 ! Déculpabilisez, mais organisez des séances pédagogiques obligatoires sur les heures de cours. Les élèves ne rechignent pas, et si vous vous y prenez bien, ils vous demanderont l'année suivante pourquoi ils n'ont plus de cours de CDI...
Là, je vois les collègues des établissements à forte proportion de "captifs" (les élèves qui prennent le bus et mangent à la cantine) baver d'envie : "ah, des heures où personne ne veut venir !!"
Et bien oui, dites-vous que parfois, vous serez enviés pour les heures de préparation que cela vous libère, les livres que vous pourrez couvrir... Inutile de chercher à tout prix à avoir des élèves, s'ils seraient aussi bien en étude, et vous, à avancer !!
2- Ils sont là ?? Chic. Mais pour quoi faire ?
On va maintenant imaginer que vous avez réussi à en récupérer quelques-uns.
Ils vous tournent autour, et déjà, la peur de les reperdre vous taraude. Comment les garder ?
Je vais me répéter, si vous me lisez, ici ou ailleurs : restez à votre place de profdoc. Relisez la circulaire, et si c'est en dehors, c'est non.
Que les élèves se sentent bien, oui. Qu'ils s'y sentent comme chez eux, pourquoi pas, mais ce serait mieux si c'était comme chez vous...
Chez eux, c'est pas toujours l'idéal pour travailler, s'apaiser, découvrir des trucs nouveaux. Donnez-leur un avant-goût de ce qu'on peut vivre ensemble, mais avec vos règles, des règles de profdoc.
Bon, ça se passe comme ça chez vous, abstenez-vous quand-même ! |
Alors si vous attendiez que je dise : organisez des escape game, du macramé, des karaoke, des tournois de billes, désolée, c'est raté.
Par contre, ce sont des super idées, gardez-les pour les clubs au foyer !
Et si vous pensiez que j'allais dire : organisez des concours, des quiz, des ateliers d'écriture de poésie, des ateliers journal du collège,... et bien, tant mieux si chez vous ce sont des recettes miracles, dans mon collège, ce serait plutôt la meilleure façon de vider le CDI...
J'ai pu voir au fil des années que des trucs beaucoup plus simples fonctionnent mieux, et avec beaucoup plus d'élèves : ils veulent lire, être tranquilles, rendre service s'ils s'ennuient, ou avoir des ordi pour travailler. Et voilà.
3- Ils sont revenus, ils sont là. Et si en plus, on les faisait lire ?
Plein de choses à se demander :
- Pourquoi ils ne lisent pas ?
- Et est-ce que c'est vraiment vrai, ça ?
- Ou est-ce que ce n'est pas plutôt qu'ils ne lisent pas ce que vous aimeriez bien qu'ils lisent ??
- Ou qu'ils lisent sur place, mais que vous aimeriez bien qu'ils empruntent et lisent chez eux. Souhait légitime, si on veut créer des lecteurs "durables".
Chaque profdoc va analyser la situation à travers le filtre de son histoire personnelle de lecteur, et de ce qui semble compter à ses yeux.
Moi, je suis une ex-scientifique, je n'ai pas fait d'études littéraires, et je n'ai d'attachement à la littérature parce que certains titres m'emballent. C'est peut-être plus facile pour moi que si j'avais une culture littéraire académique.
Ne projetez pas sur eux votre bonheur de lecteur, ou vos lectures préférées.
Le petit Nicolas, vous avez adoré ? Tant mieux pour vous, mais peut-être qu'un bon Colin ferait mieux l'affaire aujourd'hui. Vous aimez moins ? Mais vous n'avez plus 10 ans...
Tiens, encore un Colin ! |
Et bien figurez-vous que je ne boude pas mon plaisir, c'est extra ! |
Et puis êtes-vous certains qu'ils ne lisent pas ?
Ne pas emprunter au CDI ne veut pas dire "ne pas lire". Il y a tant d'autres lieux de lecture !
Je pense à un élève de 5e, grand amateur de manga, Naruto quasi exclusivement, pour lequel j'avais abandonné l'idée de lui faire lire autre chose. Il est venu cette semaine me demander le tome 3 du Manoir, parce qu'il a vu ma pub sur la télé sous le préau (cf billet précédent). Et comme il a lu les deux premiers à la maison, il vient me chercher la suite...
J'avais failli oublier qu'il y a une vie en dehors du CDI !
Résumons-nous !
Sur ce sujet de la lecture, je l'ai dit et redit ici, c'est pas sorcier.Mais comme je l'ai dit aussi ici, on l'oublie tout le temps.
Alors redisons encore une fois que la recette, c'est "tout simplement" :
- Avoir des "bons" livres : il faut les avoir lus, connaître ses élèves, et acheter des livres récents, plein de livres récents.
- Etre à la page et réactif : suivre les tomes qui sortent et avoir les dernières nouveautés très très vite. Cela n'empêchera pas de continuer à prêter les vieux bons livres, mais ce n'est pas ceux-là qui vont vous attirer le chaland !
- Que les élèves sachent qu'on les a : "Ah ah ah"... Et ben non, pas ah ah ah. Réfléchissons un peu à ça, c'est peut-être ce qu'on oublie le plus, ça, de leur dire qu'on les a. Je ne parle pas des 5 élèves qui viennent ET qui ouvrent les yeux. Je parle de tous les autres, lecteurs en puissance. Donc communication à l'extérieur du CDI, et outils de présentation à l'intérieur, avec des présentoirs adaptés.
- Qu'ils sachent comment venir au CDI et comment les emprunter : donc un planning affiché, des règles expliquées, un CDI visité en début d'année, un sourire à l'entrée pour qu'ils reviennent.
- Qu'ils aient le temps d'emprunter (à nous de leur libérer ce temps), de lire au collège (on peut les faire lire sur place, on peut même les obliger),
- Et qu'ils prennent le temps de lire à la maison. Là, vous n'y pouvez pas grand chose, il faut qu'ils acceptent d'équilibrer leurs loisirs. Mais on peut leur faire découvrir un truc tellement dingue qu'une fois à la maison, rien d'autre ne comptera ! C'est loin d'être utopique, et marche plus qu'on ne le croit.
- Qu'ils sachent lire, aussi. Mais on ne peut pas s'attaquer à tous les moulins à vent seuls ! Par contre, on peut faire en sorte d'avoir des livres de toutes sorties et de toutes difficultés, des livres audio, des livres pour les dyslexiques...
Pour le reste, faisons confiance aux livres eux-mêmes pour ne pas rester fermés une fois à la maison. Après tout, ils n'ont qu'à être énormissimes, on n'aura plus envie de faire autre chose !
Vous ne trouverez finalement sur ce blog rien d'autre que des variations à l'envie (de lire) de ces quelques préceptes !
Allez les enfants, on vient au CDI !! |
RépondreSupprimerMerci énormément pour vos posts. Je vous suis depuis le Canada, à Vancouver où je suis nouvellement enseignante-bibliothécaire dans 2 écoles élémentaires (mais chez nous, cela va de la grande section de maternelle à la 5ème!). J'apprécie tout particulièrement ce post car je constate la même perte d'intérêt pour la lecture, les visites à la bibliothèque à partir du CM2. Vous posez les bonnes questions sur les raisons de cette désaffection de certains de nos élèves. Et votre analyse sur le pourquoi me semble tout à fait pertinente. J'apprécie aussi que vous donniez des solutions pour "enchanter" les enfants et les jeunes à se sentir bien dans la bibliothèque et retrouver (ou trouver) une envie de lire. Les ingrédients de votre recette finale me semblent les bons en particulier d’avoir des livres de tous niveaux, des livres audios et des livres pour les dyslexiques.
Votre message me fait très plaisir, merci de ce retour.
Supprimer"Enchanter", oui, je garde l'image ! C'est vraiment ce que je ressens en ce moment, cette nécessité de ré-enchanter nos vies à tous. Et les livres, les jeux, les partages, sont des outils magiques. Et qui marchent !!!!