vendredi 9 février 2018

Sciatique pédagogique, les débats : une école efficace ?


On parle beaucoup aujourd'hui d'école efficace, et beaucoup d'études (celles de John Hattie ou de Steve Bissonnette, mais pas seulement) décryptent les méthodes pédagogiques pour déterminer la plus efficace. Ils nous disent ensuite comment procéder pour être efficaces.
Cela semble naturel d'essayer de l'être, et on serait tentés de foncer. Mais cela n'est peut-être pas si simple.
Nous reviendrons sur ces pédagogies préconisées dans le prochain billet, mais pour l'instant, intéressons-nous au terme "efficace".
De quelle efficacité parle-t-on ? Qui décide des critères ? Tous les effets attendus sont-ils évaluables ?



Un article de 2012 de Laurent Talbot (Université Libre de Bruxelles ; Université de Toulouse) fait la synthèse des critiques que l'on peut faire aux études qui cherchent à déterminer l'école efficace. http://journals.openedition.org/questionsvives/1234

On en reparlera pour évoquer les autres problèmes posés par ces études. Je cite juste le paragraphe sur le biais lié au terme "efficace" :

« Quels sont les effets attendus, les fins et les objectifs des pratiques enseignantes ? (…) Quelles sont les missions de l’École, quels sont les buts poursuivis par les professeurs ? Instruire, éduquer, socialiser, personnaliser, orienter, professionnaliser… ? En effet, les interprétations sont divergentes, que ce soit chez les enseignants, les chefs d’établissement, les inspecteurs ou les chercheurs. Quels sont les éléments qui vont nous permettre de dire que telles ou telles pratiques enseignantes sont efficaces ? L’attendu peut-il se définir de manière universelle, univoque ? Il existe sûrement différentes interprétations de l’efficacité. Le choix des variables dans l’analyse de l’efficacité des pratiques enseignantes est loin d’être neutre. Il n’est pas toujours explicite dans ce type de recherches et lorsqu’il l’est, ce choix fait apparaître généralement une volonté d’évaluer les connaissances des élèves dans des domaines relativement limités (maîtrise de la langue et logique mathématique généralement). La vision téléologique de l’École est alors centrée sur sa dimension instrumentale qui vise la construction de connaissances disciplinaires (instruction). (...) Les autres missions de l’École comme la socialisation, la personnalisation (autonomie, créativité, esprit critique), l’orientation ou la professionnalisation sont peu prises en compte finalement dans ces travaux de recherche. »

Dans cet autre article, très riche, Stéphanie Demers, de l'Université du Québec, se demande "pourquoi viser l'efficacité en éducation ?" http://mje.mcgill.ca/article/view/9404/7153

Elle attire notamment notre attention sur deux choses :
- Quels critères permettent de dire qu'une école est efficace ? Qui décide de ces critères ? Les effets attendus sont-ils évaluables de manière chiffrée ?
- L'école est-elle la seule responsable de la réussite scolaire ?

J'ai sorti quelques extraits, mais je vous encourage à lire son article en entier. Il est vraiment limpide, et plein de phrases qui font mouche, notamment dans la conclusion, sur le rôle de l'école.

"Des décennies de recherche en sociologie de l’éducation pourraient nous mener
à postuler que la réussite scolaire est le produit d’un ensemble de facteurs qui ont peu à voir avec l’école (bien que Hattie avance qu’un enseignant efficace peut atténuer l’effet de la pauvreté) ou avec l’apprentissage (compris comme processus complexe, interactif et multiforme qui ne peut se réduire à la reproduction de savoirs), mais peut-être trop avec la soumission et la reproduction sociales."


"Il n’est pas surprenant que les enseignants résistent aux prescriptions visant à les soumettre à porter le blâme des difficultés scolaires, sans tenir compte des contextes des élèves, des contradictions et paradoxes multiples du système scolaire et des montagnes russes d’exigences qui changent au gré des des modes gestionnaires."

"Comment peut-il exister une seule bonne méthode si les élèves n’apprennent pas tous de la même façon ? Comment arriver à la conclusion qu’une seule méthode convient non seulement pour tous les élèves, mais aussi dans tous les contextes ? N’existe-t-il pas des apprentissages qui ne peuvent être mesurés ? Si l’apprentissage est complexe, situé et singulier, comment conclure qu’il y a apprentissage réel si le seul critère relève d’une note au même examen pour tous ? Comment conclure que l’effort de l’élève ou de l’enseignant peut obnubiler sa faim, sa détresse, son sentiment d’isolement, lorsqu’il vit la toxicité de la pauvreté ? "

Donc, la notion même d'efficacité de l'école est déjà problématique.
Mais on verra qu'il y a bien d’autres problèmes posés par les études visant à nous faire choisir une méthode plutôt qu'une autre sous cet argument de l'efficacité.

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