Je poursuis ma réflexion de la semaine dernière sur les puzzles au CDI.
La question était : "Permettre
aux élèves de jouer, dessiner, colorier, ou faire des puzzles à chaque
fois qu'ils viennent au CDI, les fait-il se tourner naturellement et irrépressiblement vers la
lecture ?"
J'aimerais beaucoup pouvoir dire oui.
Cela serait très pratique d'avoir une sorte de "méthode sans effort" pour imprégner les élèves non lecteurs de molécules de lecture.
Malheureusement, dans les faits, on observe qu'on fait "juste" plaisir aux élèves (ce qui est bien !), mais que si on retire l'objet de leur désir, alors qu'ils ne venaient que pour ça, ils ne viennent plus, comme mes élèves de la semaine dernière.
Par contre, au passage, on s'est donné du travail et on a un peu plus pesé sur notre charge mentale, détournée
de nos missions de profdoc (ce qui est moins bien).
Réac, la profdoc ?
Je vais vous raconter une petite histoire.
Ma petite histoire
J'ai
été un peu débordée dernièrement par un nombre très important d'élèves de 3èmes internes qui
venaient depuis la rentrée de septembre travailler aux tables.
La vie scolaire n'ouvrant pas les salles d'étude le matin avant les
cours ou le midi, ils avaient finalement envahi le CDI.
Comme ils arrivaient à 7h30 avec les bus de ville depuis leur internat, quand les élèves des bus de campagne arrivaient, les tables étaient déjà prises.
Je n'avais rien à leur redire, ils étaient très
corrects et agréables, et j'étais assez contente d'avoir des "grands" qui travaillaient.
Mais quand ils sont partis une semaine en stage, j'ai
redécouvert des tas d'élèves qui sont venus lire, et ont réinvesti
l'espace des "tables des 3e".
Alors j'ai décidé à la rentrée de janvier de modifier les règles d'accueil,
en interdisant le travail aux tables le midi, et en le limitant le matin, pour redonner de la place aux
lecteurs.
Et bien savez-vous ce qui s'est passé ?
- La vie
scolaire a trouvé une solution et a ouvert les études (et leur a demandé de laisser les portables
en vie scolaire, pour pouvoir les laisser en autonomie en évitant les
dérives).
- Les élèves de 3e ont investi les tables de l'étude, même sur les créneaux où le CDI est accessible pour le travail. Un peu comme des fourmis travailleuses à qui on met un bâton devant le nez et qui changent de direction !
- Ils sont peu à continuer à venir le matin au CDI, mais à leur place, j'ai récupéré
des élèves lecteurs qui faisaient demi-tour habituellement en voyant
les tables prises.
"Mais du coup, s'ils ne viennent plus au CDI, ils ne vont plus avoir les sollicitations culturelles du lieu, et ne vont plus lire !" (Ceci est une vraie citation, pour ceux qui trouvent que j'exagère)
Qu'on se rassure : en 3 mois, ils n'avaient ouvert aucun livre, n'en avaient emprunté aucun, et n'avaient participé à aucune activité.
Par contre, je vous confirme qu'ils vont sans doute être moins efficaces seuls en étude que quand ils m'avaient sur le dos pour les contraindre à se taire. Je commence donc à en voir revenir peu à peu le matin...
Est-ce mon travail de "surveiller" des élèves pour leur permettre de mieux réussir leurs contrôles, parce qu'ils n'ont pas pu/voulu terminer le soir à l'internat ?
Pourquoi pas, tant que cela n’empêche pas les autres de lire (d'où la limitation du nombre de places offertes au travail), et moi de travailler (d'où mes exigences de calme, qui ont un effet aussi sur la qualité de leur travail, du coup !).
Suite de l'histoire : doigts croisés VS pédagogie
Un élève au milieu des livres n'est pas forcément un élève qui ouvre un livre !
Par contre, un élève qu'on fait lire est un élève qui lit !!
C'est la différence entre une "pédagogie des doigts croisés" (pourvu qu'ils voient le livre devant eux !), et une pédagogique tout court.
Figurez-vous qu'il n'a fallu que 25 minutes de lecture sur place (lors de la séance 30 min Pix, 30 min lecture) pour qu'un de ces élèves, qui venait s’asseoir deux fois par jour,
tous les jours, devant le bac des BD et albums inspirés de faits réels,
en lise un, en emprunte un autre, et m'en demande un 3e !!
Une victoire qui n'a rien à voir avec le fait de laisser des élèves faire leur travail au CDI, ou jouer, ou colorier, parce que "vous comprenez, comme ça, ils deviendront, grâce à l'effet magique de la présence des livres, des lecteurs accomplis !"
Un bon dosage
Je n'ai pas raconté cette histoire pour dire qu'il n'y a jamais eu d'élèves venus par hasard au CDI se mettre au chaud, ou attirés par un puzzle, et qui se sont finalement mis à la lecture.
Ma position est de dire que si on ne veut pas compter sur le hasard, ou sur une auto-imprégnation osmotique, il faut mieux compter sur la pédagogie.
La pédagogie, c'est pourquoi pas proposer des jeux et des puzzles, mais avec des règles qui respectent un équilibre, ou les utiliser pour "calmer le jeu" en fin d'heure, mais pas avec l'objectif de se substituer au foyer.
Même s'il n'existe pas !
Des tas de profdocs sont culpabilisés de voir les élèves sans activités, parce qu'ils savent à quel point cela leur ferait "du bien". Du coup, ils prennent en charge des tas d'activités connexes au CDI, et se retrouvent parfois à les supprimer parce qu'ils y laissent leur peau, et sont dépités de voir des élèves se comporter en consommateurs. Je pense quil faut impliquer les élèves dans ces activités connexes, et ne pas les leur proposer comme un dû.
La lecture, le poste informatique pour faire son travail scolaire, la relaxation individuelle, pourquoi pas, sont des dûs aux élèves. Pas le coloriage, les cartes ou les puzzles en équipe.
Au lieu d'assumer seuls la frustration de l'absence de lieux pour des activités qui nous envahissent, il suffit parfois d'en parler à l'équipe, et on trouve des solutions : la salle de jeux ouverte sur les heures d'étude, des coloriages en étude, la salle d'étude en autonomie le matin ou le midi...
C'est cela qui, pour moi, devrait être un CCC. Une réflexion en équipe sur les besoins de loisirs et de travail des élèves. Pas la facilité d'un CDI avec 25 casquettes et une tête fatiguée.
La lecture sur place sur temps scolaire, pour le coup, c'est un vrai moment magique !
Les 25 minutes de lecture sur place offertes sur temps scolaire (pour que tous les élèves en bénéficient, et surtout sans travail et sans emprunt obligatoire), c'est mon dada !
Je suis convaincue de son efficacité, et j'ai pu, depuis maintenant deux ans que des séances sont faites régulièrement, voir concrètement les effets positifs sur la lecture.
J'ai également développé une autre méthode pédagogique innovante pour faire lire les élèves. C'est une méthode d'imprégnation un peu forcée, mais elle marche pas mal aussi : "Tu ne fais rien ? Tiens, voilà un livre !" 😉
Mais elle ne fonctionne qu'avec des élèves agités, oisifs, ou perdus dans le lieu (et donc agités, oisifs !).
En l’occurrence, mes élèves de
3ème étaient très studieux et concentrés sur leurs cahiers, je n'ai jamais pu l'utiliser ! Damned !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire