Suite à ma séance choc en 6ème sur leurs relations à l'argent sur les réseaux sociaux, j'ai voulu en savoir plus pour mieux les comprendre.
J'ai donc abordé le sujet dans deux autres classes, et j'ai lancé un sondage Pronote pour faire un état des lieux sur les six classes de 6ème.
C'était passionnant, et rassurant.
Voici ce qu'ils m'ont dit.
La relation aux RS, l'exemple (non représentatif) d'une classe de 6e
Pour tenter d'en savoir un peu plus, j'ai profité d'avoir une classe imperturbable pour poser toutes mes questions.
Leur discours était un peu
différent, je m'y suis davantage retrouvée, je n'ai pas eu cette
impression de "décalage de valeurs"
de la dernière fois.
- Ils m'ont précisé qu'ils ne disent pas "je te pub", ils étaient surpris de la formulation, mais plutôt "je te fais une pub". Mais ils parlent effectivement de pub, et disent qu'ils "se font
une pub".
- Ils étaient unanimes pour dire qu'ils ne cherchent pas des abonnés pour gagner de l'argent, mais pour s'amuser, découvrir des choses, parce que c'est fun.
C’est ce qui ressort aussi du sondage Pronote auprès de toutes les classes de 6e :
- Ils ont parfaitement conscience de ne pas gagner d'argent
directement en se taguant mutuellement.
Par la "réciprocité de tag",
ils cherchent à avoir plus d'abonnés, plus de vues (et potentiellement plus d'argent, mais ils le disent avec un petit sourire, genre "on sait jamais mais j'y crois pas". Ils ne savent d’ailleurs pas trop combien
on peut gagner, à part "beaucoup, si on a beaucoup de vues").
C'est une manière de tester leur popularité, et de faire pour certains une sorte de match entre copains.
Effet pervers : un élève plus réservé m'a glissé discrètement vers la fin : "Ben moi, j'ai que 75 abonnés". Objectivement, c'est lui qui a raison, mais socialement, ce n'est pas
une "bonne" situation pour lui, il est moins "populaire", il ne peut
pas rivaliser, même s'il sait ou se doute que c'est mieux pour lui.
- Je
n'ai pas repéré de caricature de profils d'élèves, cela a un
peu cassé mes représentations. Un élève peut faire partie à la fois de la catégorie des "populaires avec plein
d'abonnés" et à celle des "prudents qui ne font pas n'importe quoi".
L'usage important voire excessif ne comporte pas nécessairement des bêtises ou des imprudences. Les problématiques sont alors autres, par exemple le temps passé ou la charge mentale, ce qui n'est un problème qu'à mes yeux d'adulte et de prof.
- Leurs connaissances viennent souvent de leur famille. Beaucoup m'ont cité leurs parents comme ceux qui les conseillent ou veillent au grain. Dans cette classe en tout cas, la communication est grande et les enfants demandent conseils.
Ils apprennent aussi de leurs essais-erreur, ou sur le tas ("Un jour j'ai vu un bouton "signaler" alors j'ai cherché ce que cela voulait dire, et depuis je m'en sers").
Dans cette classe, ils n'ont pas le souvenir d'en avoir parlé à l'école, ni au collège avant cette séance avec moi. Mais pas de souvenir ne veut pas dire pas de séance...
- Peu d'élèves ont des comptes publics (17 sur 77 réponses au sondage), et certains qui ont fait le choix du compte public m'ont dit que du coup, ils ne postent pas leur image, et font attention à ne pas donner d'indices de leur géolocalisation. Ils m'ont expliqué ça de manière très précise et très pro.
Bien sûr, il y a aussi des problèmes !
- Certains n'en sont d'ailleurs que de mon point de vue d'adulte ! Par exemple,
quand 20 élèves s'amusent à se moquer d'un élève, cela fait 20 élèves
qui ne cochent pas "j'ai eu un souci" ("on s'amuse, Madame, c'est entre nous, c'est un jeu, on est potes") et
1 harcelé qui éventuellement va répondre au sondage en disant qu'il a
vécu un truc négatif. Statistiquement, c'est 1/21. De mon point de vue,
c'est 21 soucis...
- Ceux qui évoquent des soucis parlent de demandes
d'adultes (téléphone, photo), de messages pas sympas ou citent
le harcèlement. Mais c'est une ultra-minorité. Sur 79 réponses à cette question, 6 disent avoir eu des soucis.
Il manque 60 réponses : peut-on extrapoler la statistique et penser qu'ils sont une douzaine ? Ceux qui
n'ont pas répondu ont-ils le même profil ? Le fait de ne pas répondre à un sondage Pronote veut-il dire quelque chose ?
Et est-ce que ma notion de souci
et la leur sont différentes ?
A moins de donner un sondage
papier et d’engager une longue discussion, ce dont je n'ai pas le
temps, je n'aurai jamais la réponse, mais la vie scolaire a des idées sur la question...
- Certains reçoivent jusqu'à 200 demandes d'abonnés par jour, difficile de résister !!!
Un élève m'a expliqué qu'il va vérifier chaque
compte avant d'accepter : il checke les vidéos "pour voir si elles sont
clean", les commentaires qu'ils reçoivent "pour voir s'ils ne sont pas
méchants", et seulement s'il pense que c'est "sans risque", il accepte,
mais sans s'abonner en retour.
J'ai imaginé le temps qu'il y passait ! Et la charge mentale que cela représente à cet âge.
- J'ai bien vu aussi que les fakes avaient de beaux jours devant eux...
En plus des traditionnelles arnaques aux produits magiques, une élève toute mimi a zappé sa récré
pour continuer à vider son sac. En 7 minutes, elle m'a cité 3 infos incrooooyables qu'elle a vu passer, "c'est dingue quand-même ce qui se passe !". J'ai promis de déchecker ses histoires de collégienne décapitée ou morte de peur avec les ongles rentrés dans les bras ("dans le même collège, en plus !") et je l'ai mise en garde : "Tu sais, plus ça te fait dire "NOOOONNN ????", plus le risque que ce soit faux est grand !!!".
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Alors, vrai ou faux ?
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Aborder le sujet en classe ? Ok, mais en étant sacrément au point !
J'ai trouvé un grand décalage entre les élèves.
Certains
étaient très matures dans leurs usages, très au courant, et en même
temps tout à fait conscients de leurs limites et des dangers qu'ils
veulent éviter. C'était même étonnant pour
leur jeune âge.
Et d'autres étaient dans un vrai flou, assez exaltés et très sûrs d'eux.
Un vrai cas d'école de l'effet Dunning-Kruger !!
Dans les deux cas, la personne qui intervient sur ces sujets a intérêt
à être au point pour répondre aux questions précises et pointues des
premiers, au risque de ne servir à rien, et sûre d'elle pour faire face aux arguments des seconds !!
Ou alors il faut arriver à les faire se taire, en leur décochant un brutal mais ferme : "STOOOOOP, on passe à la suite !!" en les laissant avec leurs questions ou remarques en suspens.
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Ecoutez-moi bien, mes petits !!
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Bon, ben là, clairement, la semaine précédente, je n'étais dans aucun de ces cas de figure, ils m'ont pris par surprise, ces traîtres d'ados !...
Ce sont les plus virulents qui ont pris la
parole, de manière souvent véhémente et un peu clanique ("Vous voyez, on n'est pas comme vous !").
Comme je voulais en savoir plus, je les ai laissés développer.
Mais
j'ai un peu souffert, et j'ai vu que je perdais très vite la main.
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Moi, à la fin de l'heure...
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Je ne me voile pas la face, ce n'est pas parce que la discussion a été plus policée dans les autres classes que les mêmes points de vue ne sont pas existants.
Sur cette question, dans le sondage, 6 élèves sur 68 évoquent une relation financière aux réseaux sociaux (soit en dépense soit en gain), et 71 élèves n'ont pas répondu à cette question. Qu'auraient-ils répondu ?
Dans ce cas précis, j'ai été
déstabilisée par cette question de l'argent et des dons, sujet que je ne
maîtrisais pas. Et en face, se sentant tout puissants avec leur "savoir", ils ont créé un front anti-adulte.
En même temps, c'est très bien, cela m'a permis d'actualiser un peu mes connaissances, et la séance suivante a été cadrée et efficace.
Et puis zut alors, je n'avais pas prévu d'aborder le thème des réseaux sociaux, moi ! Ma séance, c'était la pub dans la presse !
Séances bêta-test dans 2 classes
Ces deux dernières semaines, j'ai fait le point sur les points de fragilité que j'ai repérés chez les élèves, par rapport à leurs usages des RS.
Évidemment, c’est une réflexion purement théorique qui ne me servira sans doute jamais, puisque je n'ai pas gagné au loto des heures de cours. Le billet attendra donc la rentrée pour sortir, s'il sort.
Mais comme j'avais pile une dernière séance avec certaines classes de 6ème, et qu'on devait en théorie terminer sur la pub, j'en ai quand-même profité pour tester des choses.
Une panne d'internet fourbe m'a obligée à modifier à l’improviste ma séance bêta-test même pas encore calée, mais finalement, telle les Tatins, ça s'est hyper bien passé, et je pense que je vais entériner l'astuce.
Je met au propre mes notes prises pendant les séances et je fais un dernier billet pour boucler le cycle.
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