mardi 30 mars 2021

Des exposés en 4e Sepga, sans CDI et sans salle info, c'est culotté !

Comme on ne peut plus aller en classe entière au CDI ou en salle info, on bosse dans les salles des élèves. Et c'est sportif !
Je pourrais fanfaronner et vous dire qu'ils ont tous sorti ce type d'exposé :

Mais ce serait mentir. Et le plus intéressant, ce n'est pas ce qu'ils ont fait, mais comment je m'y suis pris (comme un manche) et comment je me suis rattrapée in extremis...

Soyons honnête, c'était un peu l'horreur !

J'ai créé ce blog au départ pour prendre le contre-pied des sites sur lesquels tout était beau et exceptionnel, et qui nous faisaient nous sentir nuls en comparaison. Je me disais que si je débutais avec ces récits comme modèle, je serais tétanisée. Je voulais contrebalancer avec des récits d'expérience "vrais", où on est contents de ne pas avoir eu avec nous de journaliste ("la dame du CDI n'est donc pas un vrai prof") ou d'inspecteur ("??"), mais qui sont la vraie vie d'un prof, aussi. On ne réussit pas toujours, on ne prévoit pas toujours tout, mais on peut analyser et progresser.

Depuis, de plus en plus de blogs présentent des analyses réflexives sur ce qui ne marche pas, mais la plupart du temps, il faut avouer qu'on peut facilement se retrouver à baver d'envie devant tel ou tel récit d'expérience.

Je vois aux témoignages que je reçois que ma mission est remplie. Vous êtes nombreux à vous sentir décomplexés et moins seuls face à des récits d'échecs ou de difficulté : même avec de l'expérience, on rate encore des trucs.
Et de mon côté, savoir que je vais devoir vous en causer, cela m'aide aussi énormément à progresser.

Alors analysons les causes de cet échec relatif. Relatif, parce que si on regarde juste les produits finis, je suis quand-même fière. Mais ça ne valait sans doute pas la dépense d'énergie et les kilos de sueur !

 

Projets de début d'année

1- Tant qu'on a pu aller en salle info ou au CDI, ça allait. Je les ai pris en demi-groupes, on a visité le lieu, vu les règles de fonctionnement. Puis ils ont fait leurs marque pages nuages de mots.

2- Ensuite, je les ai pris en classe entière dans leurs salles, j'ai baladé des sacs avec les jeux (DAO et Awalé). Ça, c'était encore gérable. Lourd, mais gérable.

3- Avant Noël, je leur ai fait le coup de la séance sur les beaux titres. Je me disais que j'allais leur demander de créer une banderole "bonne année 2021" à afficher au CDI à la rentrée, que cela allait leur plaire. Ben pas des masses ! J'ai montré différentes techniques, j'avais prévu des dossiers avec des exemples photocopiés, et ils se sont entraînés avec leur prénom. C'était la première fois que je faisais ce type de séance, je n'avais pas encore créé le diaporama support qui m'a bien aidé par la suite en 6e. Ce n'était pas très abouti, je n'avais pas anticipé leurs résistances, ni la difficulté à gérer les dossiers de photocopies. J'ai fait mieux ensuite, heureusement.

4- Il me fallait ensuite un exposé à leur faire faire, pour donner du sens à cette séance sur les titres. C'était un peu le but quand-même !


Je bondis sur Les Culottées

A la rentrée de janvier, j'étais ravie, j'ai pu rebondir sur un sujet étudié par leur professeur de français : ils allaient étudier les Culottées de Pénélope Bagieu, avec tout un tas d'activités à partir des histoires (BD ou animées), j'allais me greffer sur ce projet. Moi, la seule chose qui me botte, c'est de faire du lien entre les disciplines, donc c'était royal.
Ils ont travaillé en cours de français de leur côté.
On les a aussi emmené en salle info créer des nuages de mots "devinettes" (révisions de ce qu'on avait fait avec leurs marque pages). On réutilisait une technique vue avec moi, donc tout roulait.

En parallèle, sur les heures-CDI (une heure tous les 15j classe entière), je les ai donc lancés sur des exposés sur Pénélope Bagieu.

Première erreur, le timing : ma première séance est arrivée alors qu'ils n'avaient pas encore commencé avec le professeur de français. Cela n'a pas aidé à ce qu'ils se projettent dans le travail. J'aurais dû attendre que le contexte soit posé, quitte à ne commencer que 15j après. Je m'étais dit que cela allait leur servir d'introduction et aiguiser leur appétit. En réalité, ils m'ont regardé comme si j'étais une extra-terrestre.

Deuxième erreur, le thème : j'avais sans doute un peu trop idéalisé leur réaction, "ô vivement qu'on commence à lire ces histoires avec notre autre professeur, cela a l'air prodigieusement intéressant !"
En dehors du contexte Covid, mes thèmes de travail en 4e SEGPA reposent sur des "non-thèmes scolaires" : marque-pages à leur nom, jeux de stratégie avec exposés, leurs stages... Et je sais que c'est ce qui marche le mieux avec ce public. Là, par impossibilité de les mettre sur ordi, j'ai cherché un sujet faisable "à distance", mais les "prolongements pédagogiques", les sujets repris d'un prof à l'autre, s'ils nous donnent une bonne conscience pédagogique, les bassinent.

Bref !
Ensuite, il y a eu la neige, puis une grève de bus, mais ça y est, ouf, on a enfin bouclé.
"Enfin", parce que j'avoue que j'ai trouvé ça interminable, et minable. A cause de moi, et un peu d'eux, aussi, quand-même. Mais j'ai compris, et appris.

 

Première séance

 
Parce qu'on n'avait aucune possibilité de chercher ou d'imprimer en classe, j'avais prévu des vidéos, un article à lire, et des illustrations déjà imprimées à choisir et découper.
J'ai commencé par leur montrer 3 vidéos d'interviews.
Puis j'ai distribué un article qui me semblait à la fois court et simple. Je n'ai pas voulu le modifier, mais avec le recul, je me dis que j'aurais dû le bidouiller pour le rendre plus accessible, quitte à réécrire moi-même certaines tournures, mais bon tant pis.
Ils devaient le lire d'abord seuls (on a fini par le lire à haute voix), et souligner les trucs qui leur semblaient importants ou intéressants à dire dans leur exposé.

"J'ai rien compris"
"Faut faire quoi ?"
 "Y'a rien qui m'intéresse"

Grand moment de solitude...
J'ai réalisé que rien dans les vidéos, rien dans l'article, et aucune des consignes que j'avais énoncées à l'oral ("on va faire un exposé avec un titre, deux illustrations et deux textes, voici les illustrations que j'ai pré-imprimées"), rien n'était passé.
Soit c'était trop abstrait (pas d'image mentale du travail à faire, parce que jamais fait d'exposé), soit ils n'avaient pas envie, soit j'avais visé trop haut.
Rebref !

Dans chacune des deux classes, il y a la moitié des élèves qui ont commencé leur scolarité au collège, et avec lesquels j'ai tissé des liens, à force de bosser ensemble. Eux n'ont pas cherché à me déstabiliser, ils ont juste attendu que ça se termine. Et certains se sont même tout de suite au travail.
Les autres, ceux arrivés en septembre (on double nos effectifs de 4e par l'arrivée des élèves des "petites" Segpa du département, sans ateliers), et bien il faut avouer que la p'tite dame Pommereau, hein, qu'elle se désespère derrière son masque, ça ne les a pas beaucoup émus !

 

Reprise en main

C'était bien fait pour moi, je n'avais qu'à le prévoir dès le début, que ce travail n'était pas facile.
Se sentant un peu perdus, certains n'ont pas eu l'attitude que j'avais fantasmée : "ô c'est dur, mais qu'est-ce que je vais être fier de m'être accroché et d'avoir bossé quand-même malgré les difficultés !"

Pour la fois suivante, j'ai donc rajouté une étape d'explication plus formalisée au début, avec des affiches façon SuperNannie (qui reprenaient les 3 catégories utilisées par les collègues, et que j'ai vu scotchées au tableau) : 


Avec une grille d'évaluation pour tenter de contrer l'effet "j'ai pas compris - j'ai pas envie de comprendre - je préfère faire le souk".


Et bien ça a marché, inouï !
Ils se sont mis au travail, je n'ai (presque) rien eu à dire.
J'ai juste couru un marathon, eu l'impression de maintenir un couvercle de cocotte minute en place et trempé mon tee-shirt (penser à mettre un tee-shirt noir la prochaine fois, pour pouvoir enlever son gilet sans risquer les auréoles...).
Si l'un d'entre eux n'avait pas vomi juste à ce moment-là, je pense que j'aurais pu dire que la séance était une réussite... A quoi ça tient, hein, la pédagogie...

J'avais imprimé la grille sur une feuille A3, pour qu'ils aient un dossier dans lequel glisser les documents. Comme ça, je garde les documents d'une fois sur l'autre !! Les glisser dans le classeur de français pour pouvoir les retrouver, ah, tiens, bizarrement, ça n'avait pas fonctionné (ah ah ah, la débutante !).

 

S'organiser sans CDI

Pas de suspense : c'est la galère !
Je n'ai rien sous la main, il faut tout anticiper, donc impossible d'improviser.
Et il faut tout apporter : préparer, porter, entreposer entre deux séances, récupérer au début, installer, ranger à la fin, ré-entreposer, souffler.
Il faut tout sortir des sacs, ouf, un absent, je vais pouvoir squatter sa table, les feuilles blanches à gauche, les livres à droite, les images à découper sur... "je les mets sur ta table, ça t’embête pas ?"
Et fatalement, au bout de 2 élèves qui sont venus chercher le matériel, tout est mélangé (j'ai horreur de ça. Mais COMMENT peut-on ne pas remettre des piles bien droites !!!) ou par terre. Je passe mon temps à ramasser, reclasser, à la limite de l'implosion...
Je suis perdue, sans mes marques, pas très à l'aise, et dans le regard des "nouveaux" élèves qui ne me connaissent pas et ne me relient pas au CDI, sans doute pas très légitime.
Je ne peux pas relier ce que je fais avec l'usage du lieu. Un profdoc hors sol, c'est possible si on parle de wikipédia, des réseaux sociaux, de mangas (et encore...), mais pour des exposés ??


Guider, ou Not guider ?

J'ai partagé mes difficultés avec l'équipe. On m'a suggéré de les guider davantage. Mais ça m’embête. Je le fais en 6e (voir l'exposé Awalé), puis en 5e un peu moins, et je trouve que c'est bien aussi qu'ils puissent prendre des initiatives et proposer des choses, et aussi qu'ils soient autonomes avec une tâche complexe. Trop guidés, je trouve qu'ils perdent l'habitude de réfléchir par eux-même, et attendent trop le guidage. Et j'aime bien aussi les laisser libres et leur donner de l'espace pour prendre des initiatives, inventer.
Mais cela m'a fait réaliser que tous n'en sont pas capables, et que je mettais les plus faibles en difficulté. Je guide les "perdus" a posteriori, quand je vois que ça bloque.

Du coup, j'ai réfléchi à deux niveaux de guidage : si certains élèves sont bloqués, j'ai prévu un "coup de pouce" avec une liste de choses à faire dans l'ordre :


Personne ne me l'a finalement demandée. Par contre, on m'a réclamé la grille d'évaluation.

 

Rendre l'activité inclusive

J'avais prévu trois niveaux de difficulté pour les textes...
... "Arrête de te la péter, c'est du Jourdain, ton histoire de prévision. Dis plutôt que c'est le hasard, et que tu as sauté sur l'occasion pour l’entériner !!"
Bon, OK, j'avoue !
C'est quand j'ai vu un élève "dyspraxique ++" faire son titre que j'ai anticipé que les textes, ça allait être une vraie partie de plaisir sans ordi !!!
J'ai donc proposé qu'il découpe des morceaux de l'article que j'avais distribué, pour créer son propre texte. Et il a fait ça super bien !!
Du coup, j'ai intégré (après-coup) dans la grille d'évaluation le fait qu'ils pouvaient choisir leur niveau de difficulté pour les textes :


Certains élèves ont choisi cette option, mais ont fait n'importe quoi, en découpant un paragraphe qui commençait par "Non, ...".
Donc "rouge" en compétence !! Bon d'là, me prenez pas pour une buse, les gosses !

La méthode des lettres doublées pour les titres lui a aussi permis d'avoir un beau titre, qu'il a colorié uniquement une lettre sur deux pour gagner du temps (c'est moi qui lui ai suggéré, c'était déjà incroyable qu'il fasse un truc aussi propre). Fière pour lui, je l'ai exhibé partout (l'exposé, pas l'élève...).


Le résultat

J'ai beaucoup transpiré pendant ces séances, mais je suis contente de m'être accrochée. Certains ont fait des belles choses, chacun avec ses capacités (certains ne sont pas lecteurs, d'autres ne peuvent pas écrire).

Certains se sont arrêtés au titre, ou ont collé à la va-vite n'importe quoi, mais tant pis, on n'y revient pas. Je me dis qu'ils ont aussi appris quelque chose. L'autonomie et la motivation, ainsi que l'envie de bien faire, ça s'apprend peu à peu, à coup de réussites et de projets successifs. Ils auront d'autres occasions de progresser. Et je croise les doigts pour que cette fois, les consignes et l'organisation que je leur proposerai leur permettront de s'y mettre dès le début sans découragement.
Je vais conserver cette manière "plus guidée" de gérer l'autonomie.

 




 

La suite ? Heu... on va attendre un peu !

Je vous avoue qu'à la fin de chacune des séances, j'ai eu envie de jeter l'éponge. J'étais rincée, essorée, vidée.
Évidemment, mettre en place tout cela n'a d’intérêt que s'ils ont un 2e exposé à faire, puis un 3e. J'ai un temps pensé proposer une autre organisation, et reprendre des demi-groupes, mais rajouter 2h à mon EDT ne me ravit pas. L'idée aurait été de reprendre le chemin du CDI, où j'ai mes marques et mes marqueurs, et des ordinateurs pour pouvoir les mettre sur des sites Internet et avoir l'imprimante sous la main. J'avais pensé à leur faire faire des portraits des femmes présentées dans les BD, c'est pas les idées qui manquent, mais là encore, il y a risque de surdose du sujet.

J'ai parlé à l'équipe de mon découragement, dis que j'aimerais faire une pause, et ça tombe pile, parce que la collègue de français a besoin de moi pour les aider à trouver des lieux de stage, s'entrainer à téléphoner ou se présenter, puis rédiger leurs rapports de stage. J'ai donc annulé toutes mes séances avec eux jusqu'aux vacances, et on ira toutes les deux en salle info.
Ma mission : leur apprendre à utiliser google maps, créer des itinéraires, faire des captures d'écran et des belles mises en page pour présenter les entreprises. Ça me va mieux pour l'instant, les compétences visées sont de toute façon informatiques et numériques.
Chercher l'adresse d'un coiffeur ou la vie de la femme à barbe, ma foi, pour moi, c'est tif tif !!

Et ben voilà, j'ai trouvé mon salon de coiffure !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire