Cette formule m'exaspère.
Le coeur pour le CDI, là où ça palpite, c'est ça ? Et les collègues, c'est les jambes ? On peut les couper sans dommage ?? Ils en disent quoi, les collègues, quand ils entendent dire que le CDI est au coeur de l'établissement ? Ils se sentent concernés par le lieu ? Et quand ils oeuvrent de leur côté entre les 4 murs de leurs petites salles de classes mal fichues et sans confort, ça ne vaut pas chipette ?
Vendredi dernier, j'ai vécu une journée particulièrement intense et variée. Un concentré de semaine. Vivre tout ça sur la même journée m'a permis de toucher du doigt le rôle du CDI dans mon collège.
Il est à la croisée des chemins. On s'y rencontre, on s'y croise.
C'est un lieu qui fait le lien entre des projets, et entre des individus, de tous âges et statuts. Un espace où le travail d'équipe est la règle.
Un lieu de ressources, parfois insoupçonnées : on y trouve des billes ou des haricots pour faire une expérience en math ou un loto en espagnol, des pics en bois ou des punaises, des livres documentaires ou des tablettes chargées, un lecteur de minicarte SD, un conseil pour organiser un projet, une aide pour l'animer.
Un espace calme et ressourçant, aussi. Une bulle.
Je ne met pas d'échelle d'importance dans ces ressources, ce n'est pas le sujet de cet article. Et puis j'ai décidé depuis septembre 2016 de voir la vie en rose.
Il arrive bien sûr que des projets ne soient pas en lien avec le CDI, ni avec moi. Je ne les connais même pas. Pas grave.
Mais pas sans conséquence. Aucune trace sur le site, aucune valorisation en interne, pas de lien avec un autre projet dont j'aurais connaissance ou avec une compétence info-doc qui aurait déjà été sollicitée. Et pas d'aide de ma part sur les heures d'étude (mais ça, c’est parce que je suis un peu peste).
Ce lieu à la croisée des chemins, cela pourrait être la cafeteria d'un lycée, ou le foyer des élèves. Mettez un adulte référent dans une pièce, laissez-le gérer l'ouverture toute la semaine, donnez-lui un budget, un esprit ouvert et attentif aux demandes, et c'est le foyer ou la cafeteria qui deviendra le coeur de votre carrefour.
En l'état actuel de la réflexion sur ce que doit être un établissement bienveillant et accueillant, il faut avouer qu'aucun autre lieu que le CDI ne concentre aujourd’hui les atouts nécessaires pour devenir un carrefour (et pas le centre, répétons-le) et un catalyseur.
Rien de mieux que de vous faire vivre ma journée de vendredi dernier, pour vous faire comprendre le sentiment d’accomplissement que j'ai ressenti, l’impression d'être à ma place.
Dans les moments de doute, quand je me dirai que je n'ai pas assez oeuvré pour la compréhension du monde des médias, pour la maîtrise parfaite de la notion de source ou d'identité numérique, je me repasserai le film de cette journée. Depuis quelques mois, depuis que mon cerveau doit digérer le cataclysme causé par les attentats, la montée du front national, je me dis qu'un élève qui est heureux à l'école, qui parle aux autres, les écoute, les comprend, qui joue, qui est curieux, qui est autonome, qui est lecteur, c'est peut-être plus important que tout ce que je me suis attachée à mettre en place ces dernières années, et que j'ai eu la sensation de perdre avec la réforme (réforme que j'appelai de mes vœux, et que j'espère encore voir tenir bon).
Voici donc une journée parmi d'autres. Elles ne sont pas toutes aussi riches, mais ce concentré ressemble assez à une semaine classique.
Quelques liens vont mèneront vers les articles où j'ai déjà développés certains projets.
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7h45 – Je pose mes 4 sacs au pied du bureau collaboratif, sors la thermos et mon mug, allume l'ordi, et vais ouvrir les 3 autres portes du CDI ainsi que celles de la salle informatique annexe.
7h55 – Arrivée de la classe de 4e avec laquelle la collègue de français et moi, on a commencé mercredi un travail sur les Misérables. On a entre autre revu la recherche d'image inversée, abordée l'an dernier en 5e. J'ai déjà vu la classe pour trois projets, on se connaît bien. Ambiance studieuse et affairée. Ils ont fait des sacrés progrès.
A la fin de l'heure, certains ont terminé, d'autres ont mis leur travail sur clé ou folios, pour terminer à la maison ou en étude.
Comme on est en salle info, le CDI est libre pour la classe de 6e qui a Vie de classe. Ils préparent leur voyage de fin d'année. La collègue a fait le journal des 6e pour les CM2 avec moi et sa classe, elle s'est dit que ce serait bien d’utiliser le même outil pour créer le journal de leur voyage. Elle a lancé les élèves sur des recherches et des brouillons, et me sollicite en fin d'heure pour que je mette en place la maquette du journal. Ils n'ont pas besoin de moi, les élèves sont habitués à travailler en équipe au CDI, ils sont autonomes et la collègue est comme chez elle. Je les vois à travers la porte vitrée de la salle info, ça fait plaisir de les voir affairés.
9h – La classe de 6e reste, c'est leur première heure du projet lecture inter-générationnel qui a lieu cette quinzaine.
Les 5 bénévoles sont déjà là, ils papotent.
Tout le monde s'installe, j'explique. C'est comme en octobre, je vous laisse choisir vos groupes et votre livre, un adulte va vous rejoindre à votre table. Cette fois-ci, vous allez découvrir des albums coups de coeur, choisis par toutes les personnes qui travaillent avec le CDI, libraire, bibliothécaire, bénévoles et élèves.
Je commence à expliquer le principe des pétales de fleurs pour écrire un petit mot en fin de lecture. Je rassemblerai leurs pétales pour créer les fleurs affichées à côté des livres.
Huit classes sont déjà passées depuis mardi, les grilles commencent à se remplir.
Je suis interrompue par l'arrivée de deux élèves de 5e, qui arrivent avec une grande affiche colorée.
Je sais ce que c'est, je pourrais poser l'affiche et continuer sur mes fleurs, mais tiens, c'est mieux si elles expliquent à tout le monde ce que c'est. Je leur laisse la parole.
« La prof (au passage, je savoure ! Il n'y a plus de petits plaisirs dans la vie d'un profdoc de nos jours) nous a demandé de lui créer un lexique pour pouvoir parler en allemand quand elle vient faire des rappels de livre en cours d'allemand. On a fait un concours, ça c'est la première affiche, les autres ne sont pas terminées. »
Les filles repartent, ravies je l'apprendrai plus tard, de pouvoir dire que j'étais fière et émue.
Je l'ai peut-être un peu trop surjoué, mais apparemment, j'ai bien fait.
9h50 – Sonnerie de la récré, les derniers groupes de lecture achèvent leur livre, les élèves de la récré commencent à arriver.
Des 6e doivent emprunter un petit roman pour faire un résumé en anglais sur un padlet. Des 4e de ce matin viennent récupérer leur fichier sur folios. D'autres demandent à imprimer, récupérer un fichier. Une élève de 3e veut le tome 3 d'une série rangée dans le placard des séries, je m'occupe d'elle en priorité, les 3e lectrices, je leur déroule un tapis rouge invisible… On me demande si la nouvelle énigme scientifique est arrivée.
Avec tout ça, je n'ai pas eu le temps de débriefer avec les bénévoles.
Je suis rassurée quand je vois qu'ils ont pris leurs habitudes autour de la table des invités, se sont servi à boire et grignotent en se racontant leurs impressions de cette première heure de la journée.
Un garçon de 6e me suit depuis un moment, j'arrive enfin à l'écouter. Il veut savoir si je prête les jeux d'échecs. Je me pose une seconde pour réfléchir à sa demande. Non.
Mais pourquoi pas.
On a 40 joueurs d'échecs au collège, et largement ce qu'il faut en plateaux. Ils jouent en club le midi avec des bénévoles mais aussi en fin d'heure d'étude au CDI. On cherche une boite vide d'Ovomaltine, idéale pour mettre sans danger les pièces dans le cartable, on roule le plateau, un élastique. Va pour le prêt, je verrai plus tard pour officialiser.
10h10 – ça sonne, tout le monde sort, rien n'est dérangé. Comme à chaque fin de récréation, je prend quelques secondes pour savourer cette parenthèse où on a l'impression que tout le collège s'était donné RDV, et est reparti sans laisser de trace. Il y a eu un creux de fréquentation quelques semaines, je me suis fait peur. Mais c'est reparti.
De toute façon, les Z viendront au besoin ce midi tout remettre d’aplomb.
Avec les bénévoles, on attend la classe suivante. Des 5e qui ont déjà fait le projet l'an dernier avec les albums et cette année avec des romans d'aventure.
On explique, on s'installe aux tables, je laisse lire, tout en découpant des pétales et gardant un œil sur tout mon petit monde, et profitant de l'ambiance sereine.
Je pensais avoir un répit de découpage avec les 5e, mais non, ils veulent écrire comme les autres. Soit. Je découpe.
Heureusement, j'ai récupéré des dizaines de dossiers cartonnés de toutes les couleurs d'une personne qui a son bureau au sein du collège. Elle a rangé, et moi j'ai engrangé. Les Z ont tout trié par couleur et épaisseur. Pratique, et joli sur les étagères ! (on les voit derrière la table-buffet)
11h – Changement de classe, encore une 5e.
Un garçon regarde autour de lui : « Elle est pas là, Jacqueline ? » Il a lu avec elle la dernière fois, il s'en souvient. En sortant, il dira à sa lectrice du jour : « A l'année prochaine ».
Je délègue à mes intervenants déjà bien rodés le soin de faire rouler cette heure.
Je découpe, je profite.
Un coup d'oeil sur ma messagerie, pour vérifier si aucun bénévole n'a de contre-temps, et si l'école primaire m'a répondu pour notre projet de rencontre lecture.
Le collègue redécouvre le CDI, il a peu le temps de venir, il court partout, et avec la réforme, il est dans le jus. Il voit les liseuses, on cause lecture numérique et format epub. Lui aussi, profite. Il regarde ses élèves penchés sur des albums. Ils posent des questions, font des remarques, rient.
Des gars n'osent pas dire à la bibliothécaire qu'ils ont été émus par « Toc toc toc », mais l'écrivent sur leur pétale.
12h – Tout le monde part déjeuner, la pièce est vide quelques minutes.
Je met le panneau Ouvert devant le CDI dans le couloir, et m’apprête à recevoir les élèves du club du vendredi. Un groupe s'installe avec la peinture et les pinceaux, protège la table avec une nappe. Ils font une banderole qui leur servira mardi prochain. Ils en ont besoin pour leur vidéo sur Fairy Tail. Je les laisse, ils se débrouillent.
Je file en salle des profs réchauffer ma gamelle, une collègue me laisse la place au micro-ondes, ils savent que le midi, je ne peux pas trop attendre mon tour. Le CDI reste ouvert en continu. Comment refuser les lecteurs ? Et puis si je ferme, ils ne viennent plus ; les habitudes se perdent vite à cet âge. De toute façon, ça prend trop de temps de fermer 6 portes !
En sortant de la salle des profs, je vois une boite triangulaire. On me dit que c’est la boite créée par les élèves de la segpa, en atelier, pour recueillir les commandes des parts de pizza que les élèves fabriquent en atelier. Je repars chercher l’appareil photo, les coachs de 4e segpa la mettront sur le site.
Peu de monde ce midi, je m'assois avec mon riz devant ma messagerie, histoire de respirer un peu.
Une collègue d'anglais passe. Celle des emprunts 6e du matin. Entre deux bouchées, je lui montre les portraits de lecteurs d'il y a 3 ans. Elle est emballée, on pourrait le faire en anglais avec les 6e en juin. Je lui envoie le lien vers la version numérique, elle verra quelles structures grammaticales elle pourra faire utiliser aux élèves. Avec moi, ils réviseront du coup la prise de « photo pour internet », tout un art, il ne faut pas voir les visages, la récupération/insertion, la mise en page, la typo. Et on les fera parler d'eux et de la lecture, un des moyens pour les faire devenir lecteur.
Avant, on prend RDV pour terminer la vidéo de slam.
13h20 - Retour des bénévoles, c'est l'équipe de l'après-midi. Je souhaite la bienvenue à deux nouvelles personnes dans la troupe.
Au total, sur les 15 jours, 28 bénévoles (dont 7 hommes) vont se succéder, jusqu'à 7 par heure, pour lire avec les élèves. En tout, 14 classes bénéficient de ce dispositif inter-générationnel, sur les 27 du collège. Et cela deux fois par an.
13h25 – Une des classes de 3e segpa arrive.
Je les félicite pour le repas pédagogique de la veille, j'avais annulé mon club du midi pour pouvoir y aller. J'ai pris plein de photos pour le site du collège, les coachs de 4e publieront.
Pour la lecture, on est rapidement dans le vif du sujet. Ils sont en terrain connu, ils participent depuis la 6e. Une élève reconnaît une invitée, elles en profitent pour se donner des nouvelles. D'ailleurs, je vois qu'aux tables, ça cause de l'an prochain, tous les élèves ont un projet professionnel, et les adultes les interrogent avec une vraie curiosité.
Pendant que les groupes commencent la lecture, deux élèves de 4e segpa arrivent avec un menu de cocktail.
Le collègue a l'air au courant : il commande son cocktail. Et moi, je veux quoi ? Je découvre qu'ils ont travaillé sur les densités des liquides en sciences. Pour concrétiser les cours, ils ont créé des mélanges qui ne se mélangent pas, et proposent de nous les faire goûter. On commande pour tous les adultes.
Les cocktails magnifiques commencent à arriver, les invités sont ravis et impressionnés. Je prends des photos. Encore du boulot pour les coachs.
Entre deux albums, mon collègue me glisse qu'il est OK pour le mannequin challenge l'an prochain, pour présenter la Segpa. On s’organisera en juin.
14h25 – Départ des 3e, arrivée des 6e, changement d'ambiance sonore...
C'est leur première heure, donc je commence par expliquer. Je m’interromps pour récupérer mon cocktail qui vient d'arriver. Tête bizarre des 6e !
Difficile de laisser passer sans demander aux élèves de 4e d’expliquer leur projet. Ils font ça très bien, je les félicite. L'un d'eux me dit que c'est pas lui qui sait, c'est la prof qui leur a expliqué. Je lui fait remarquer que maintenant, c'est lui qui sait ! Je renouvelle mes félicitations, il a l'air touché. La classe de 6e applaudit.
Je refile mon cocktail à la CPE venue profiter de l'ambiance et saluer tout le monde. Elle repart à la vie scolaire son verre multicolore à la main. L'arc en ciel change de main, et de pièce.
On s’installe aux tables, je prend un groupe en charge aussi, on est un peu juste cet aprem.
Les filles ont terminé le livre, elles rédigent leurs pétales. J'en profite pour aller créer quelques fleurs, je les rajoute sur les grilles.
15h20 – Récré, et fin de la semaine.
J'ai pris ma dernière heure, j'ai rattrapé hier matin en arrivant plus tôt. J'en ai plein les bottes, des bottes de toutes les couleurs, mais quand-même !
Et je veux aller au départ en retraite d'une copine doc qui paie son coup.
On débriefe avec l'équipe de l'après-midi, on termine la brique de jus, et voilà qu'arrivent deux lecteurs de la veille, dont notre animateur échecs. Ils ont les bras chargés des jeux prêtés à une école primaire. C'était leur journée du tournoi, après 1 an à jouer avec des plateaux en cartons et des pièces fabriquées maison, ils ont pu jouer avec des vrais plateaux.
Ces deux-là ont l'air aussi ravis que nous.
La CPE repasse. C'est bon, j'ai les CM2 mardi à 14h30, c'est arrangé. Je vais pouvoir lancer des invitations aux bénévoles, pour savoir qui viendrait en plus mardi pour faire le projet avec des CM2 en visite au collège. Deux des personnes présentes répondent déjà présentes, elles seront là.
Reste à guetter la messagerie ce week-end.
Une sacrée journée, une sacrée semaine.
J'ai écrit pour me souvenir. Et je partage pour rendre peut-être le sourire à des collègues qui se demandent, comme moi un peu trop souvent : à quoi je sers ?
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