dimanche 3 février 2013

Faut-il participer à des prix littéraires, ou pas ?

Vous me direz, comme j'en co-organise un (le Mangamado), c'est pas très clair comme état d'âme... 
Alors que depuis toujours, je considère cet outil comme super intéressant, cette année, des expériences et des remarques de collègues ont ébranlé mes convictions.

Un prix littéraire, c'est quoi ? Par définition, il s'agit d'une liste de titres choisis par un groupe d'organisateurs, et valable pour tous les inscrits. Le principe est de faire lire la totalité d'une sélection à des élèves, volontaires (clubs lecture) ou non (projet de classe), et de les faire voter. Éventuellement, on rajoute des activités annexes : "avez-vous aimé et pourquoi", rencontre avec un des auteurs, affiches, quiz...

Mes arguments en défaveur des prix :

1- Sans aucun rapport avec la pédagogie, mon premier argument contre certains prix, c'est que les organisateurs exigent parfois qu’on leur achète les livres. Or, je préfère imaginer que chaque établissement inscrit va voir son libraire local, plutôt que d'en faire travailler un seul pour tous les participants. Mais c'est une position très personnelle.
 
Couverture de livre
Je l'aime bien cette couverture,
je la mets partout !
2- Deuxième argument contre : il faut avoir lu tous les livres pour voter. Je sais, c'est le principe d'un prix !
Mais c'est totalement impossible avec la majeure partie de mes élèves. Donc, si on extrapole, on peut imaginer que la plupart des titres que mes élèves vont élire, ce sont ceux dont la couverture est la plus attractive, ou les pus courts (à la fois parce les exemplaires achetés tournent plus vite, et aussi, avouons-le, parce que c'est celui que les élèves vont choisir en priorité !). Ils ont également plus de chance de lire celui qu'on a acheté en davantage exemplaires : le moins cher, ou le chouchou de la doc... Et si vous me dites que l'essentiel, c'est que les élèves lisent, je dis non, un titre va au final être déclaré gagnant. L'auteur va être récompensé, félicité. On ne peut donc pas faire n’importe quoi avec les votes.

3- Conséquence du point précédent : lire tout ça, ça prend du temps ! Il ne s'agit pas là d'une petite séance de présentation de livre, avec un retour plus ou moins formel 15 jours après. Quel collègue peut passer 3 mois sur le même projet ?

4-  Non seulement il faut être un peu boulimique, mais certains titres risquent de ne pas plaire aux élèves. Encore une fois, je vous entends d'ici, c'est le principe d'un prix ! Un des titres va nous plaire davantage, et certains ne pas nous plaire du tout. Bien sûr, lire un livre qui ne nous plait que moyennement ou pas, ce n'est pas grave en théorie. C'est même intéressant : pour apprendre à juger un roman, leur faire élire le meilleur à leurs yeux de lecteurs avertis... Mais c'est un objectif pour lecteur vorace ! Pas pour des lecteurs qui ne lisent que rarement. Pour ceux-là, on aimerait que chaque lecture fasse mouche ! Si on sait qu'un élève n'ouvrira qu'un seul livre cette année, prend-ton le risque qu'il ne lui plaise pas ? J'aurai tendance à vouloir tomber juste du 1er coup, pour l'entendre dire "ça fait longtemps que je n'ai pas fini un livre, vous en avez un autre comme ça ?"...

Là-dessus, discussion avec une ancienne prof de lettres : les élèves ont toujours l’impression qu'il faut aimer les livres qu'on leur donne à lire. Tout dans notre attitude leur donne des indices que ces livres sont super intéressants. Ils n'ont pas aimé ? C'est donc qu'il y a quelque chose qui cloche en eux. Ils font alors semblant, disent qu'il ne l'ont pas encore commencé, tournent autour du pot... Tout, plutôt que de dire qu'ils n'ont pas aimé.
J'ai trouvé cette remarque très intéressante.
Couverture de livre 
Donc soit, partons de ce pré-supposé : il ne faut pas toujours faire lire aux élèves des livres qui leur plairont.

D'ailleurs, mon collègue de lettres sur-enchérit : on n'est pas là pour leur faire aimer les livres qu'ils lisent, mais pour leur donner une culture, leur apprendre à lire des textes, à découvrir la complexité de l'écrit.
Là, vous vous dites, le collègue est partant, peu importe l'avis des élèves, on y va !
Et bien non, parce qu'après lecture des romans du prix : "Mais il n'est pas question que je passe du temps à leur faire lire ça, qu'est-ce que j'en tire littérairement ?".

Alors quoi faire ? Arrêter les prix ? Mais moi, j'aime bien ça  ! J'aime bien le cadre un peu officiel que ça donne, le côté festif, les rencontres qu'on organise, pouvoir publier des commentaires sur les blogs des organisateurs...

De ces discussions, nous en avons tiré avec mon collègue de lettres quelques pistes pour mieux travailler ensemble.

GastonOK pour le prix littéraire en l'état, si le projet est totalement fait avec l'accord du prof, sur un temps scolaire, que les objectifs sont clairs. On peut se permettre de faire lire des livres qui vont moins faire mouche que d'autres, si l'objectif est la critique littéraire, la prise de parole à l'oral... On y associera d'autres actions de lecture loisir en parallèle.

OK pour faire participer quelques élèves sur des moments de volontariat : en club pour des romans, en étude pour des mangas, des BD, des albums. En toute connaissance de cause cependant sur l'énergie nécessaire, et la frustration fréquente de n'avoir que deux lecteurs... Sur des temps non scolaires, il faut des trésors d’imagination et d'énergie pour faire lire à des élèves des livres non obligatoires. Il faut également des complices : quelques collègues eux-mêmes lecteurs (pas nécessairement profs de lettres), les surveillants, le CPE...

Quant à leur faire lire les 5 livres d'une même sélection... Les élèves élus par les dieux de la lecture étant rares, nous avons réfléchi à des techniques pour participer à un prix de manière collective, en se partageant les livres à lire. J'en ai déjà listé sur ce blog. J'en teste, j'en teste. J'en ferai sans doute un bilan très prochainement.

Créons pourquoi pas nos propres sélections, adaptées au niveau de lecture de nos élèves. C'est souvent ce qu'on voit en collège, les collègues de lettres organisent une sorte de défi lecture entre toutes les classes de 6e, par exemple. Pour leur donner un côté plus "prix", pourquoi pas un comité de sélection 5e qui choisirait au 1er trimestre des livres à faire lire ensuite aux 6e ? On peut toucher les délégués volontaires pour ce type d'action. On peut imaginer un vrai moment de vote avec urne, annonce au micro...

Et si on est attachés aux rencontres ou activités différentes (exposés, recherches, objets créés en art pla...), organisons des activités autour des romans choisis par les collègues de français pour leurs cours : faire venir une association de langues de signes si on fait lire Hellen Keller, faire lire à des retraités les romans sélectionnés pour le programme... Certains sont les mêmes que quand ils étaient petits ? Cela permettra de parler de la transmission de la culture. Ils sont difficiles ? Peut-être la présence de ces lecteurs d'un autre âge (ils les avaient aimés !!!) peut galvaniser la classe...


Vous le sentez, ça cogite, ça cogite...

L'objectif ultime pour moi, c'est que les élèves connaissent des tas de sortes de livres, qu'ils aient testé leurs goûts, qu'ils aient bien-sûr trouvé des livres épatants, et que leurs habitudes soient suffisamment fortes pour durer, durer, durer...
Gaston
ça, c'est mon collègue, qui aimerait bien
que j'arrête de lui donner des trucs à lire..
L'objectif du prof c'est de faire son programme, en se servant de textes résistants (cf notion de lecture littéraire), riches. Et faire parler, écrire les élèves. Pas de faire plaisir à la doc ! Parfois, un peu aux élèves...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire