J'ai envie de faire cette semaine un petit zoom sur le projet lecture qui me semble le mieux convenir à la promotion de la lecture loisir : la lecture sur place ! Petit projet, mais costaud !
La suite est sous le clic, avec un petit historique de mes essais, les raisons de ma préférence pour cette forme légère de projet, et les éléments qui m'ont aidée à faire réussir le projet : éléments et choix matériels, mais également facteurs humains !
Avec le premier des facteurs humains, les élèves :
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Un souvenir d'un de ces nombreux midis qui ne désemplit pas ! |
Un CDI rempli de lecteurs : un trompe-l’œil ?
Là où je travaille, je n'étais plus trop sollicitée pour la lecture. Le CDI fonctionne très bien, il est toujours rempli, et on y voit les élèves lire, et lire beaucoup.
Donc "tout va bien".
Un CDI rempli de lecteurs, je confirme !
Mais souvent des mêmes élèves, qui lisent la même chose.
Et on peut aussi regretter que ces nombreux "lecteurs sur place", bien que lecteurs quotidiens dans la journée, empruntent de moins en moins pour la maison, et de moins en moins de romans. C'est un loisir moins intégré dans leurs habitudes.
Et ils sont nombreux à sembler en difficulté technique avec la lecture, lire est difficile pour eux, ils manquent cruellement d'aisance, et de capacité de concentration.
Cette semaine, un très bon élève de 6e m'a rendu 2 mangas Fairy Tail empruntés il y a 15 jours : il les reprendra plus tard, pour l'instant il a un livre à lire pour le français, il n'a pas le temps de les lire. Suis-je suis la seule que ça choque ?? Mais comment occupe-t-il ses journées ?
C'est donc une semi-réussite, et je ressens le besoin de faire différemment, pour
faire davantage (je suis un peu "Madame toujours plus", "Madame jamais contente", je le sais bien !).
J'aimerais toucher d'autres élèves, d'une part, mais aussi toucher différemment les élèves qui viennent déjà.
Mon objectif, c'est de leur faire toucher du doigt l'apaisement, le bien-être qu'on peut ressentir quand on est plongé dans une lecture individuelle, dans un silence total. Et mon ambition est de le faire au moins 1 fois par an pour chacun des 600 élèves.
Pourquoi avoir abandonné les gros projets lecture ?
Au fil des années, je suis devenue partisane des projets "petits mais qui peuvent beaucoup".
Je rentabilise mon temps, mon énergie, et le temps qu'on m'accorde.
Je ne pourrais pas assumer des gros projets lecture à moi toute seule, ni pour toutes les classes.
On rappelle au passage qu'un profdoc, à côté de l'accueil des
élèves au quotidien et des actions lecture, doit aussi s'occuper de
l'info-doc, de l'EMI, du harcèlement, cyberharcèlement, et j'en passe.
Et ça tombe bien, les collègues ne souhaitent pas non plus consacrer beaucoup de temps à des projets lecture.
Je n'ai plus non plus le budget pour acheter des livres qui ne serviront qu'une fois, et encore moins en plusieurs exemplaires, comme pour un prix lecture.
Par ailleurs, je ne suis plus du tout convaincue que ces grands projets font lire sur le long terme.
Personnellement, je n'ai jamais vu d'effets supérieurs à ce
type de projets par rapport à d'autres actions plus simples, plus
quotidiennes, plus "naturelles".
J'ai
moi-aussi fait venir des auteurs, participé à des prix littéraires, j'ai ai créé
moi-même, et certains de ces projets ont parfois semblé fonctionner.
Mais jamais sur le long terme, et jamais pour un grand nombre d'élèves.
La lecture sur place rapide pour tous, cela évite que des élèves perdent (trop) leurs habitudes de lecture loisir personnelles, cela leur permet de remettre les pieds au CDI et de voir ce qu'il y a comme nouveautés ou type de livres possibles, et le cas échéant de repartir avec un bouquin librement choisi (il y a entre 0 et 5 emprunts suite à ces séances, et ce sont en général des anciens lecteurs que je vois moins au fil des années). Ces livres-là ne sont pas compliqués à récupérer ensuite, il est rare qu'ils fassent l'objet de rappels, contrairement aux emprunts de classe obligatoires, un enfer à récupérer, parce que non investis par les élèves.
Des années de questionnements frustrants, sans issue concrète sur le terrain
Ma réflexion sur la lecture ne date pas d'hier.
C'est même par là que j'ai commencé (et fini) ma petite carrière de formatrice.
Au fil des années, les billets se sont enchaînés, autant de réflexions aboutissant à des idées mises en place une fois mais pas généralisées, ou de souhaits jamais réalisés :
- https://clairementdoc.blogspot.com/2013/11/la-lecture-sur-place-une-solution-mes.html
- https://clairementdoc.blogspot.com/2014/02/lecture-de-livres-documentaires.html
- https://clairementdoc.blogspot.com/2014/04/seconde-guerre-mondiale-en-3e-une-heure.html
- https://clairementdoc.blogspot.com/2020/10/le-casse-tete-de-la-lecture-sur-place.html
C’est là que ma réflexion "régate poldoc" est arrivée.
Pour trouver une issue à mon impression de "bout de la route".
N'y avait-il pas de
route un peu plus longue, et un peu moins caillouteuse et solitaire que
la mienne ? https://clairementdoc.blogspot.com/2022/03/bouee-3-de-notre-regate-poldoc.html
L'idée présentée en conseil pédagogique avait été actée : nous organiserions un moment de lecture sur place 1 fois par an et par classe.
D'aucuns diraient que je manquais d'ambition, je pense que j'ai manqué de méthode, parce que même cet objectif minimaliste a été compliqué à atteindre.
Trop d'options tue l'option !
Quand j'ai lancé l'idée de la lecture sur place dans toutes les classes, j'ai d'abord voulu y synthétiser l'ensemble de mes idées, problématiques et solutions. J'ai un souci avec les résumés !
Mon premier message aux collègues énonçait donc tout ce qui était possible (selon la classe, le collègue, si c'est la 1ère fois ou pas...), pour laisser à chacun la possibilité de s'approprier la séance, même si je leur avais quand-même mis en gras les options qui avaient (et ont toujours) ma préférence :
1- Possible en vie de classe, en français ou dans n’importe quelle autre discipline
2- Possible en classe entière ou en demi-groupe.
3- Possible au CDI (pour avoir toute la variété possible des choix), ou en classe avec un chariot de livres
4- Possible sur une heure, ou sur un temps plus court
5- Possible sur des thématiques liées à la discipline, ou sur des sujets libres
Or, quand tout est possible, rien n'est fait !
RDV à la fin du billet pour voir ce qui a empêché ce nouveau projet de rester lettre morte.
Pourquoi la lecture "sur place-gratuite-ponctuelle" a ma préférence ?
Reprenons point par point mes préférences :
1- Pas de risque de "récupération" scolaire par le prof de français ! Je le dis amicalement, et je me moque parfois un peu d'eux à ce sujet.
J'ai
vu un collègue observer ses élèves, tous assis avec un livre, et j'ai
vu son cerveau se mettre à carburer : c'était quand-même dommage de
ne pas en profiter pour leur demander un petit truc à faire à la
maison !
NON, CADEAU, on avait dit !
Des élèves qui
lisent, j'en vois tous les jours, mais je peux comprendre que cela
puisse faire tourner la tête, tous ces minots silencieux et concentrés !
2- Une classe entière qui circule partout, c'est plus de bruit, et statistiquement plus d'élèves qui risquent de ne pas trop avoir envie de lire et cherchent à s'amuser entre eux. L'idéal,
c'est de couper la classe en 2 groupes sur 2 demi-heures (le collègue
les prend en salle info à côté, ou dans la salle de travail).
3- Au CDI parce qu’il y a le choix complet, et qu’il n’y a rien à
prévoir. C'est pas que je suis flemmarde, mais j'ai aussi d'autres trucs
à faire...
4- 1h c’est long pour beaucoup d’élèves. Mieux vaut
25-30 min, ou alors 1h avec une autre activité possible si certains se
lassent. Mais il faut que le collègue s’investisse et trouve une idée
d’activité, le risque s’il ne le fait pas, c’est de se retrouver avec
une classe qui commence à tourner en rond et en a marre, sans plan
B. L’horreur !
On peut imaginer une durée différente selon les élèves. Ils
pourraient lire 1h s'ils le veulent, ou alors choisir une autre activité
pour la fin de l'heure (rédaction d'un marque page de bilan de lecture,
d'un nuage de mots, d'un acrostiche... selon l'âge). Pour permettre aux
petits lecteurs ne pas en avoir marre et mettre le bazar, et aux autres
de terminer un petit roman, s’ils sont lancés.
Mais vraiment, l'idéal et le plus simple à organiser et gérer, c'est la classe coupée en deux, chaque élève ayant 20-25 min pour lire.
5- Sujets libres pour moins de préparation pour moi, et moins de contrainte «
scolaire » pour les élèves. Mais une lecture de livres doc sur la 2e
guerre avait TB marché en 3e. Il faut rester ouvert :
- https://clairementdoc.blogspot.com/2014/02/lecture-de-livres-documentaires.html
- https://clairementdoc.blogspot.com/2014/04/seconde-guerre-mondiale-en-3e-une-heure.html
Donc sauf demande particulière d'un collègue, je vais choisir la formule la plus libre possible, au moins pour la première visite. Avec une classe de 5e, nous en sommes à la 3e séance : 2 libres en VDC, et la 3e en français avec un corpus imposé, lié au livre lu en classe.
Suite à ces visites informelles, je gagne à chaque fois quelques lecteurs.
Et aussi quelques visiteurs, parce qu'à l'adolescence, "loin des yeux, loin du coeur" !
Et ce n'est pas les messages envoyés sur Pronote, avec les nouveautés ou le détail des activités proposées qui permettent de récupérer les élèves moins investis (et donc qui ne lisent pas les messages, et ont besoin de voir pour savoir).
Cerise sur la pile, les élèves vivent au moins 20 min par an (mes objectifs sont tout à fait raisonnables !) un moment de silence total, une bulle de calme dont certains verbalisent qu'elle leur fait du bien.
Et pourquoi pas un 1/4h lecture, si je veux tant que ça faire lire les élèves ?
Je vois certains inconvénients au 1/4h lecture hebdo dans toutes les classes (je ne suis pas la seule, ces inconvénients figurent dans tous les vademecums sur le sujet). Ils reprennent en creux certains des arguments précédents :
- Lassitude des élèves, qui finissent par appréhender pour certains ce moment qui revient trop souvent. Je préfère entendre "déjà fini ? On pourra le refaire ?"
- Grosse emprise sur le temps de cours, amenant les collègues, même les plus convaincus que cela fait du bien aux élèves, à souhaiter arrêter.
- Coûteux en achat pour pouvoir prêter tant de livres à tout le monde (la plupart des élèves ne vont pas à la bibli, et ne ramènent rien de chez eux)
- Énormissime poids sur les épaules du profdoc, qui voit débouler en général à la récré précédente des meutes d'élèves qui ont oublié leur livre. On peut prévoir des caisses de livres pour les salles : mais imaginez, 24 classes, pas toujours dans les mêmes salles selon le jour et l'heure de la lecture, un plaisir !
On a testé des caisses de livres dans quelques classes à la demande de collègues, ou un 1/4h uniquement sur les classes de la Sepga et pas toute l'année. A chaque fois, cela a suffit à essouffler tout le monde, et les élèves ne voulaient plus entendre parler de lecture.
Un chouilla contre productif...
Différentier la lecture sur place sur temps scolaire, et celle sur la récré ou le midi
Il faut un minimum de contraintes, juste ce qu'il faut pour créer l'événement.
Il faut trouver un moyen pour que les élèves qui viennent déjà lire seuls au CDI différencient leur passage libre avec cette heure "offerte".
J'impose donc que chaque élève lise seul, contrairement aux lectures à deux autorisées sur les heures d'étude ou aux récrés. La lecture sera donc silencieuse et concentrée, et ça tombe bien, c'est ce que l'on cherche !
On peut imposer un type de lecture (fiction et pas doc, un genre, un thème), mais je préfère que ce ne soit pas le cas la 1ère fois, pour amadouer et faire connaître le CDI.
Cela pourrait être aussi une semi-contrainte : « ceux qui veulent aller lire dehors avec un fauteuil de plage doivent obligatoirement choisir un roman », tout simplement parce que je n’aurai pas 28 transats... J'ai vu des CDI qui avaient ce type de projets.
Mais surtout pas trop de contraintes, et surtout pas scolaires !
Je préfère que les choses se fassent naturellement, toujours dans l'idée de reproduire des situations
les plus naturelles possibles, éloignées du scolaire, comme celles que l'on
vivrait si on allait seuls à la bibli.
Donc inutile de donner trop d'infos, ou de dire tout fort pour tout le
monde un truc qui ne concernerait que peu d'élèves, au risque de briser la bulle de silence. Et surtout si c'est pour tendre le dos ("Attention, hein, ne faites pas semblant de chercher, sinon je vais choisir à votre place").
Au besoin, pour les
quelques-uns qui tourneraient encore en rond au bout de 5-10 min, je vais les voir directement pour leur proposer mon aide (ou imposer une place et un livre, s'ils sont réfractaires ! L'essentiel est qu'ils ne puissent pas déstabiliser le groupe et émettre d'ondes négatives).
Et surtout, surtout pas d'emprunt obligatoire à la fin, ni de fiche de lecture à rendre. Un moment de lecture offert.
Aménagement de l'espace et de la politique d’achat
Le fait d'avoir souvent des élèves qui lisent sur place (soit volontairement, soit avec leur classe), m'a obligée à modifier mon organisation :
- Achats en priorité de romans courts (les longues séries de gros romans, c'est terminé)
- Un gros fond d'albums, hérité de 10 ans de projets inter-générationnel avec lecture sur place accompagnée. Le Covid a sonné le glas du projet, mais j'ai conservé l'idée de la lecture sur place, en la rendant individuelle.
- Espaces de lecture un peu partout, avec des albums et des livres courts directement sous la main quelque soit l'endroit où on s’assoit. J'ai déjà eu l'occasion de le dire : un ado, ça lit ce qui est sous sa main une fois qu'il est assis, parce que circuler et choisir est trop engageant pour certains.
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4 bacs à albums (en plus des BD) sont disséminés un peu partout. Ici, au milieu des livres documentaires. |
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Nouvel essai d'espace Ado-égalithèque, en cours d'installation. Il reste toute la signalétique des boites à faire. | ![]() |
- Mise en valeur des livres courts (ou de coups de coeurs) sur des tables, des boites...
L'ultime décision : rendre ces moments de lecture sur place obligatoires pour les collègues, et ritualisés pour les élèves
Il y a eu sans doute beaucoup d'erreurs de communication de ma part au lancement de l'idée, des manquements
dans mon organisation, une peur de m'imposer (cf syndrome de l'imposteur), un défaut de projet commun ou de dynamique d'établissement aussi (quid de la place de la lecture dans les projets d'établissements ?).
En tout cas, je n'arrivais pas à faire passer toutes les classes au moins une fois par an.
Cette
réflexion qui n'arrivait pas à aboutir a croisé la route d'un adjoint très à
l'écoute. Ancien CPE, il était fin connaisseur des problématiques du profdoc.
J'ai eu à ce moment-là le coup de pouce qui me manquait, avec l'inscription officielle de la lecture dans les habitudes de l'établissement, en profitant au maximum des cadres
institutionnels obligatoires : Fluence 4e et Pix.
Le bilan de ces séances Pix/lecture est très positif :
Et petit à petit, les choses ont pris :
- Cette année, avec le nouveau CPE, nous avons rajouté de la lecture lors de la présentation des éco-délégués.
- Une professeure d'anglais est venue pour couper ses classes en deux et faire de l'oral.
- Des PP souhaitent prendre des petits groupes pour parler orientation en ciblant les profils d'élèves.
- Deux professeurs travaillant sur une thématique en cours ont souhaité que les élèves prolongent avec un peu de lecture ciblée sur le thème.
- Trois PP ont été spontanément demandeurs de moments de lecture sur place, en dehors des moments que j'impose avec Pix par exemple ou de mes sollicitations directes.
Je pense pouvoir dire que ce projet lecture minimaliste est désormais lancé durablement.
J'ai pu au fil des réunions me rendre compte que lorsque les classes ne viennent pas, c'est davantage par effet "nez dans le guidon" des collègues que par manque d'intérêt.
Je me sens donc un peu plus légitime pour proposer l'année prochaine des quinzaines thématiques avec proposition de lecture sur place, et un planning imposé pour les classes qui ne seraient pas venues suite à une demande spontanée d'un collègue.
Je profite donc de ce billet pour remercier mon adjoint, qui va rejoindre à la rentrée un autre établissement. Et je jalouse un peu le profdoc qui aura le plaisir d'obtenir à l'avenir son soutien indéfectible dans ses projets. Allez, j'en ai bien profité, chacun son tour😉
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La valeur sûre des lectures sur place : Max et Lili, et Tom Tom et Nana !! |
Merci beaucoup pour ce partage de projet et de réflexion. Etant donné que tu es sur une lecture cadeau, je suppose que tout est autorisé, roman comme BD, manga ou revue ?
RépondreSupprimerOui, tout à fait, même si je préfère quand ils sont dans une fiction, cela évite qu'ils se lèvent plusieurs fois pour changer, et on arrive plus vite au silence.
SupprimerPour une 2e ou 3e, il peut arriver qu'on impose une fiction (justement pour permettre de rentrer en concentration totale, et pour marquer le fait que c'est un moment différent de leurs habitudes, où on leur lance des défis), ou une thématique en lien avec un cours (biographie de femmes connues ou méconnues, protection de l'environnement...).
Merci beaucoup pour cet article qui me redonne un peu d'espoir quant au retour de la lecture sur place au CDI. Ici, dans le CDI de mon collège, peu d'élèves lecteurs (ils se comptent sur les doigts d'une seule main...) et c'est de pire en pire (7 ans que je suis là). Le CDI, pour eux, c'est juste un endroit pour bavarder (et pas discrètement, encore !). Bref, un gros travail d'image du CDI est à faire, je pense (en même temps, pas vraiment aidée par le Chef, qui part en fin d'année). En tout cas, c'est avec des articles comme les tiens que je reprends confiance ! Alors, merci !
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