jeudi 20 octobre 2022

Des jeux collaboratifs brise glace (ou révélateurs de tensions, c'est selon...)

J'utilise beaucoup les jeux dans ma pratique.
Cette année, en plus des jeux de stratégie ou historiques, je me lance dans les jeux collaboratifs.
Ils peuvent être utilisés pour briser la glace en début d'année dans un club, une classe de 6ème, une option qui regroupe des élèves de classes différentes.
Ou réchauffer en cours d'année l'atmosphère dans une classe où ça se causerait peu.

Voici quelques exemples de ce qu'on a testé ou repéré, et quelques remarques sur les précautions à prendre (avec une mise à jour en juin 2023 en bas du billet, après quelques ajustements).

Objectif : briser la glace sans se blesser !

Pourquoi des jeux collaboratifs pour briser la glace ?

Bien sûr, pour faire connaissance, on pourrait faire jouer des élèves à tout un tas d'autres jeux : jeux de lettres, de société, de dés...
Mais l'avantage des jeux collaboratifs est qu'on ne joue pas pour soi. On gagne ensemble, ou on perd ensemble, on a donc intérêt à partager, à se parler.
Par ailleurs, si un élève est un peu en difficulté avec la compréhension du jeu, il ne va pas se dire "bon ben c'est sûr, je vais perdre, puisque je suis nul". C'est donc assez inclusif.

Il y a des activités brise glace qui amènent les élèves à aller se voir et se questionner, voire se toucher, pour faire connaissance.
J'avoue que ceux-là je les fuyais en tant qu'enfant, et que je vois des élèves souffrir dans ce type de situations, donc je les exclue d'office de ma batterie d'outils.
Rien qui bloquerait un timide, un anxieux, un bègue, un introverti, un autiste... Ces élèves ont ma priorité dans ce type d'activités, puisque par définition, tous les autres n’auront pas eu besoin de nous pour se faire des connaissances. La glace, eux, ils la font fondre d'un regard assuré, warriors qu'ils sont de la socialisation !


Briser la glace, c'est bien. Casser du sucre, c’est moins bien ! Quelques précautions à prendre

Avec ce type de jeux, en tant qu'observateur extérieur on a vite fait de remarquer quels sont les meneurs positifs voire bienveillants, les meneurs autoritaires voire agressifs, les mis à l'écart, ceux qui comprennent vite et prennent des initiatives pour trouver des solutions...

Ce sont donc des jeux qui peuvent être utiles pour savoir à qui on a affaire, et quels sont les points forts/faibles de chacun.
Mais qui nous obligent à être vigilants pour que certains élèves fragiles ne fassent pas l'objet de remarques agressives, s'ils se trompent. Ils peuvent être pris pour cible par le groupe qui leur reprocherait de les faire perdre, ne pas comprendre, de ne pas être assez rapides ou habiles.

Dans les jeux avec gagnants, chacun est centré sur son envie de gagner, on s'occupe donc moins de la manière dont les autres jouent. S'ils jouent mal ou se trompent, on se réjouit, on ne leur en fait pas le reproche !
Mais avec des équipes, si un élève déjà un peu exclu se retrouve au centre des critiques d'un groupe, cela peut devenir assez vite contre-productif (et assez terrible !!).

Pour en juger, emmenez un de ces jeux en vacances en famille, et observez tonton Gégé et cousine Berthe !
On se dit que lors d'un jeu collaboratif, l'essentiel étant de gagner ensemble, cela va forcément bien se passer. En théorie oui, sauf si tonton Gégé et cousine Berthe ont un contentieux, ou si Gégé attend de se venger parce qu'en mai 2011, Berthe lui a marché sur les pieds... Et oui, Gégé a la mémoire longue !

Donc surveillez vos élèves comme du lait sur le feu, et attendez-vous à devoir arrêter une partie ou intervenir pour mettre de l'eau dans le vin des agressifs.



Bandido en 6ème

Le FSE a financé 6 boites pour faire jouer une classe entière. Ce que nous avons justement fait cette après-midi avec une classe de 26 sixièmes.

Nous avons fait 2 tables de 5 et 4 tables de 4.
J'ai expliqué les règles en me mettant dans la peau d'un commissaire briefant 6 brigades d’inspecteurs. Un élève avait la boite en main, et devait suivre mes instructions pour sa table : "Ouvrez la valise, vous trouvez une carte Brigand, posez-la sur la table. Distribuez ensuite 3 cartes souterrain à chacun, face visible. Votre mission est d'empêcher le brigand de s'échapper par les souterrrains...Vous avez 20 minutes, travaillez en équipe, partagez les infos, organisez-vous entre vous."
Vous
voyez le topo.

C'était très cool, tout le monde s'est bien amusé, et les discussions entre eux sont restées très zen. Bon, il a fallu que je menace de mettre un inspecteur à la circulation s'il ne parlait pas mieux à ses partenaires, mais en gros, ça s'est bien passé. J'ai même distribué un 13ème mois à deux brigades ultra rapides. Un élève m'a demandé combien ils allaient gagner : "le double de d'habitude, donc deux fois rien".
Moi aussi, je me suis bien amusée !

Les avantages de ce jeu :
- Pas cher (11 euros)
- Facile à mettre en place
- Facilite vraiment une collaboration douce et des discussions, sans agressivité
- Parties courtes 

Les inconvénients (très limités...) ou adaptations :
- Avoir des tables assez grandes
- J'ai choisi l'option de laisser les cartes de chacun visibles pour encourager la collaboration, sinon, les interactions sont plus limitées, ce qui n'est pas mon objectif en utilisant ce jeu.
- Les élèves peu habités aux jeux de société ont du mal à piocher une carte à chaque tour, il faut quasiment être derrière leur dos sans arrêt.
- Ils vont vous bassiner à chaque heure d'étude ensuite pour y jouer !

 

Des jeux géants en bois, pour des grands groupes

A découvrir pour certains d'entre eux sur ce site : https://www.lamaisondubillard.com/
Achetés eux-aussi par le FSE.

Ma préférence va à la tour, parce que c'est vite mis en place. Pour le crayon, il faut une table, de l'espace, avoir checké qu'on a bien un crayon fixé (et un autre de rab en cas de casse ou d'usure), et un parcours ou une mission à écrire ou dessiner.

On a testé avec la même classe que celle qui a joué à Bandido.
Mais, là, c'était pas la même histoire !

J'avais fait en sorte que les deux équipes coupent les groupes de copains, notamment un groupe qui reste tout le temps ensemble, et pas toujours avec un très bon état d'esprit. Mais ces filous ont profité de l’installation dehors pour se regrouper, et passer outre mon organisation.
Du coup, on s'est retrouvés avec une équipe de 12 ultra zen, tout mimi les uns avec les autres, ultra coopératifs. Et une autre équipe de 12... différente... 

A un moment, j'ai dû menacer de cartons rouge les agressifs, et pour ne pas stigmatiser une des élèves qui faisait sa cheftaine et commençait à se mettre tout le monde à dos, j'ai demandé à 6 d'entre eux de sortir du groupe pour laisser 6 seulement jouer, "pour voir si c'était mieux à 6".
Bon, il a fallu ensuite lui interdire de se mettre à 4 pattes sous les jambes des autres pour continuer à donner ses ordres. Pénible, la demoiselle.

Quand je vous dis qu'il faut manier ces jeux avec précautions ! On peut empirer l'exclusion d'un déjà-exclu, ou créer des dissensions qui n'existaient pas encore (parce que certains ne causant pas à d'autres, ils n'ont pas encore montré leur vraie nature).

Lors du bilan, on les a laissé parler. 5 élèves ont pris la parole pour dire qu'ils regrettaient qu'il y ait eu de l'agressivité, et 1 a dit qu'il y avait aussi des choses positives, quand ils essayaient des stratégies tranquillement sans se crier dessus.

Ah oui, il faut aussi que je vous précise que si vous avez un coin de cour loin des salles de classe, c'est mieux pour ne pas vous mettre les collègues à dos !
Entre les hurlements de joie quand ils réussissent (chuuuut !), les hurlements de déception quand ils ratent (chuuuut !), les hurlements de colère contre celui qui tire dans un sens et pas dans l'autre (mais enfin, chuuuut !), j'en suis ressortie essorée, et pas du tout sereine.

Pas sûr que ce soit judicieux avec une classe. A moins de vouloir jauger les élèves rapidement, et dans ce cas, le faire tout de suite, avant que des groupes ne s'installent. Ou alors en commençant par ça, et en faisant le Bandido après, pour calmer tout le monde.
Par contre, avec un club, pas de souci, j'ai testé. Il n'y a pas d'enjeux de sous-groupes ou de domination dans ce contexte.


Mise à jour du 21 juin 2022 : Nous avons retesté ce jeu avec une classe de 6ème SEGPA, avec un scénario méta-cognitif.
J'ai laissé faire au début, pas trop longtemps (j'ai quand-même eu le temps d'entendre certaines fenêtres de classes se fermer, oups...), sans annoncer que l'objectif était que chacun s'amuse sans que ce soit au détriment des autres, avant d'insérer une pause d'analyse.
1- Après avoir mis 8 élèves au jeu, j'ai pris les autres en catimini pour leur donner la consigne d'observer la partie, pour pouvoir dire ensuite ce qui allait, ce qui n'allait pas. Eux seuls savaient l'objectif de la séance. Les joueurs n'étaient pas au courant qu'ils étaient observés, et qu'il y avait un objectif.
2- Au bout de quelques minutes d'énervement, et avant que ça dégénère trop, on a stoppé, et j'ai demandé aux observateurs leurs conclusions. Chacun s'est exprimé, et a pointé le bruit, l'absence d'écoute, et même l’extrême attention de certains au détriment de leur écoute des autres. Intéressant.
3- Chaque joueur a ensuite fait part de ses ressentis, de même que les 2 adultes
4- J'ai sorti le 2e jeu, coupé le 1er groupe en deux, y ai rajouté les observateurs, et on a joué ensuite 20 min plus paisiblement, en s'écoutant, et avec plus de réussite.
5- On a fini tous très contents !!!
Au bout de 30 min dehors avec cette activité, nous sommes repassés en intérieur pour terminer l'heure avec le Bandino.


D'autres jeux repérés, pas encore tous testés

J'ai repéré 2 activités pour se présenter, parler de soi sans que ce soit trop intrusif (formations à distance proposées par Scholavie et Canopé) :

-  « Finis la phrase »
https://scholavie.fr/wp-content/uploads/2022/07/ScholaVie_Finis-la-phrase.pdf 

- Jeu de l’oie du lien (la version élémentaire est suffisante, et déjà assez compliquée)
https://scholavie.fr/wp-content/uploads/2022/07/ScholaVie_Jeu-du-lien_Version-e%CC%81le%CC%81mentaire.pdf


Et deux animations qui mettent en scène le corps :

- Ronde des gestes
Des élèves jusqu'à 12 sont assis en cercle, et un adulte meneur les guide, en lançant un premier geste, que tous reprennent ensemble. Puis chacun à son tour dans le cercle choisit un geste simple (avec les mains, les bras, les pieds, assis ou en se levant, avec un son ou pas...). Le meneur fait faire ce geste à tous une fois, puis relance la ronde des gestes en commençant par le sien, et en les enchaînant. On en rajoute donc un nouveau à chaque tour de ronde. S'il repère qu'on commence à perdre le fil, il fait reprendre, en rajoutant éventuellement des éléments mnémotechniques oraux (on ouvre la fenêtre, on se lève, bras levés au soleil...).
Sympathique, et fait travailler la concentration et la mémoire. 

- Bruit de la pluie en collectif
Écouter sans regarder : https://www.youtube.com/watch?v=dcN1oMeFMJI&t=108s
Puis s’entraîner à faire : http://courbet-col.spip.ac-rouen.fr/spip.php?article1509
Je l'ai testé l'an dernier en Ciné-club, quand j'ai parlé des métiers du bruitage.

 

Voilà voilà. A défaut de faire de l'EMI, je fais jouer les élèves pour leur donner le sourire et des amis.
Et c'est peut-être bien une pierre très utile à l'autel de l'EMI !
Un élève non isolé et serein n'est-il pas moins sujet aux moqueries, aux rumeurs, et ne risque-t-il pas moins d'être tenté de diffuser des messages agressifs ?
Tout bénéf !

Tenez, regardez les amis, on pourrait mettre ce ver de terre dans la poche de Gégé ? (Photo Pixnio)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire