jeudi 10 décembre 2020

J'enseigne à des pioupious, que ça vous chante ou pas !

Donc, les "professeurs de la discipline de documentation" n'auront pas de prime d'équipement informatique, parce qu'ils n'exercent pas "devant élèves".

Vous croyez qu'il reste de la place au CDI ?
 
On aurait pu entendre (à défaut de les accepter) plein d'arguments : pas de ligne budgétaire commode compte tenu de vos spécificités, difficulté à vous faire entrer dans des cases tellement vous êtes atypiques dans le paysage pédagogique français.
Même des arguments fallacieux, je pense, s'ils avaient été enrobés dans de la guimauve réconfortante, valorisant nos missions essentielles.
On était déjà tellement à fleur de peau.

Mais toucher à ce qui fait l'attachement le plus fort de notre profession, la présence des élèves ??
Mais quelle erreur stratégique !!

Au-delà des différences entre nous, ce qui fait notre "commun", ce sont les élèves !

 

Juste une envie, leur voler dans les plumes ! Vous savez ce qu'elles vous disent, les "dames du CDI" ?

On ferait ce métier pour être face à des livres, c’est ça ? Avec accueil d'usagers, à l'occasion, et mise à disposition de tables de travail. Avec travail administration et travail manuel, cachés derrière la fameuse "banque d'accueil" ?
Cela fait longtemps que, moi comme d'autres, on a zappé cette "banque" et cet "accueil" d'autrefois, figurez-vous. On accueille, soit, mais surtout, on forme, on éduque, on ouvre, on curiorise, on bouscule...

Lequel est un habitué du CDI ?


On s'est adapté, et on continue. Comme les enseignants de Technologie, d'Art...
On fait un travail d'enseignant auprès des élèves, pour les élèves, sur des sujets d’aujourd’hui, avec des méthodes d’aujourd’hui. Alors oui, peut-être pas "devant des élèves", d'ailleurs, si cela veut dire "en mode magistral".

Réveillez-vous de votre hibernation ! Il est loin, le temps des "j'ai fait ce métier parce que j'aime les livres" !
On ne fait d'ailleurs pas davantage ce métier aujourd’hui parce qu'on aime les ordinateurs, attention à ne pas nous coller une nouvelle étiquette délétère !
Entendre qu'on a "beaucoup fait pour le travail à distance pendant le confinement" laisse entendre qu'on a dépanné sur Pronote. Attention à ne pas nous satisfaire de ce raccourci ridicule !

Sauf votre respect !
 

Quelle maladresse, ce "pas-devant-élèves" !
Mais quelle connerie monumentale de vouloir nous ressortir nos chignons et lunettes ancestrales !!

Les "dames du CDI" n'existent que dans les souvenirs des anciens, dont nos dirigeants sont. Elles ont bel et bien existé, bien sûr, et rendons-leur hommage !
Parfois le nez dans les bouquins par vocation (on parle d'une époque où le numérique n'avait pas encore pointé le sien, comment le leur reprocher ?).

Vieille chouette très sympathique !
 

Mais parfois reléguées là parce que justement, les élèves, elles ne pouvaient plus les voir, les supporter, les gérer. Elles étaient les victimes, mais elles ont fait du mal à notre image, parce qu'on ne retient qu'elles, de toute l'histoire de notre profession.
On me l'a encore rappelé hier en salle des profs. "Avoue que des comme toi, il n'y en a pas beaucoup". Pas beaucoup dans les souvenirs des collégiens d'il y a 20, 30 ou 40 ans, oui, c'est sûr. Et si la mobilité professionnelle des collègues se limite à quelques établissements, leur connaissance du métier se limite à 2 ou 3 exemplaires de ma profession. Jamais je n’oserais généraliser une profession à une rencontre malheureuse, surtout si elle a eu lieu il y a 30 ans. Mais pour les profdoc, c'est notre lot. Quoique la profession innove, nous serons toujours les héritiers des "dames du CDI", réelles ou fantasmées.

Certains "dames et hommes du CDI" sont pourtant à l'origine de notre Capes, ils ont senti que les livres allaient laisser la place à d'autres médias, sans disparaître, et qu'il allait falloir s'adapter, former, sans renoncer à la culture, à la lecture.
Merci à tous ces bib-doc, comme on m'a longtemps appelé (bien après la création du capes, mais les appellations ont le vie dure, comme les réputations).

 

Profsdoc, des drôles d'oiseaux obligés de jouer les coucous !

Sur Twitter, chacun rivalise depuis quelques jours de publications de fiches pédagogiques EMI, pour justifier notre rôle, et notre rôle numérique. Regardez, je suis prof, #jesuisprofdoc.

Nous n'avons pas besoin de nous justifier par des fiches pédagogiques. D'ailleurs, je ne me sens pas à la hauteur de l'enjeu, et ce n'est pas là que je suis la meilleure. Je sais mettre en activité, pas en fiche. Je n'ai pas appris, et je ne suis pas sûre d'aimer.

Pour les élèves, je suis la "prof du CDI", et ça me va. Même avec un parapluie, derrière un chariot, avec un code Pix à la main, une webcam ou des ciseaux à cranter, je reste leur prof. Les élèves n'ont pas besoin d'étiquettes, juste d'engagement, et savoir qu'on les fera progresser dans des domaines qui comptent. Pour eux, pour l’institution, pour leur réussite, leur bonheur, peu importe, on est partout par petites touches.

 

Volons-leur dans les plumes !

Alors, un ordi portable, une prime, une indemnité, je me moque de la méthode, pourvu qu'on me dise droit dans les yeux que je m'occupe des élèves, que je leur suis utile voire indispensable, qu'on me reconnaît comme enseignant à des élèves, et qu'on reconnaît légitimes mes besoins en matériel numérique.

Qu'on ne s'avise surtout pas de me dire que je ne suis pas devant des élèves, eux autour de qui tourne toute ma vie professionnelle, et un sacré bout de ma vie personnelle.

Je tente d'adoucir leur vie, de les rendre maîtres du jeu, avec mes moyens pédagogiques, éducatifs.
Pas avec les moyens d'un prof de math, pas ceux d'un prof de techno, pas non plus ceux d'un CPE.
Avec les outils d'un profdoc !

Je suis profdoc, responsable d'un centre de documentation accueillant un public scolaire, enseignant d'info-doc et d'EMI et en charge de projets d'ouvertures culturelles.
Je suis clairement doc, quoi ! Avec fierté et arrogance.

Et je garderai pour moi tous les noms d'oiseaux qui me viennent à l'esprit !

11 commentaires:

  1. Profdoc aussi et fiere de l'être !
    Merci pour vos propos si justes !
    .... et oui, les vieilles lunes ont la vie dure !
    Une collègue de lettres ce midi "oui mais toi, ton métier, c'est avant tout les livres !"....
    Et si l'institution faisait enfin son travail en nous légitimant aux yeux de nos collègues !

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  2. MERCI MERCI MERCI !
    Je suis totalement en phase avec ce texte, tout est dit, CLAIREMENT dit, et tellement bien dit...

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  3. Ca fait du bien de vous lire. Un grand merci

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  4. Bravo et 100% d’accord. Je suis derrière vous et votre profession et vous avez mon soutien ! 👏👏👏

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  5. Pfff ça me donne envie de pleurer.... ça c’est la fatigue ! Mais moi non plus ils ne m’auront pas et je resterai toujours vaillante pour mes pioupious car les ouvrir au monde, les amener à s’épanouir, à penser par eux-mêmes, elle est là notre vraie reconnaissance « pas devant élève » 😛. Slamandedoc !

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  6. Toujours pertinente et espiègle. Merci Claire

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  7. Merci et bravo pour ce super article qui dit tout comme il faut !! :-))

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  8. MERCI, vraiment merci ! Tout est dit, tout est clair , alors bravo !!

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  9. Un grand MERCI!100% avec vous !

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